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LA MÉMOIRE

nalement, on cherche alors à retenir la sonorité de la phrase, comme une musique qui impressionne l’oreille intérieure ; mais si on s’astreint à tout lire, il est impossible de retenir le son, car cette musique dénuée de sens est très courte, elle s’éteint tout de suite comme un écho ; il faut alors fixer autrement son attention, la faire pénétrer plus avant, jusqu’au sens, aux idées du morceau. C’est ce petit effort supplémentaire qui nous déplaît, car nous sommes singulièrement ménagers de notre attention. Or, l’expérience a appris que la méthode globale, malgré son caractère rébarbatif est nettement supérieure à l’autre pour la conservation des souvenirs ; elle permet d’apprendre un peu plus vite, et surtout, ce qui est important, elle assure une conservation plus longue et plus fidèle. Ainsi un sujet, au bout de deux ans, pouvait encore réciter 23 % des morceaux appris par la méthode globale, et rien que 12 % des morceaux analogues appris par la méthode fragmentaire. Nous croyons que la supériorité de la méthode globale tient à beaucoup de petites causes ; mais la principale, à notre avis, c’est qu’elle utilise la mémoire des idées, tandis que par l’autre méthode, on ne fait intervenir que la mémoire sensorielle des mots.


Interprétés au point de vue de la distinction entre la mémoire sensorielle et la mémoire des idées, beaucoup d’observations et d’anecdotes deviennent très faciles à comprendre. Si tel acte de mémorisation ne laisse pas de traces, on devine pourquoi. Je me rappelle avoir causé de ce sujet avec des artistes de la Comédie-Française. Les acteurs sont des professionnels dont le sort n’est pas à envier, car ils payent leurs beaux succès par la peine qu’ils ont à apprendre leurs rôles, et ceux d’entre eux qui sont intelligents ont fait beaucoup de remarques sur les lois de la mémoire. On sait que souvent ils sont