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BUT DE CE LIVRE

dence dont il ne faut pas se départir soit pour expérimenter, soit pour interpréter après l’expérimentation.

Il y a là, on le comprend, toute une formation d’esprit nouvelle, tendant à faire du professeur ce qu’il est rarement ; il est un enseigneur, il doit devenir aussi un observateur. Ce sont deux attitudes bien différentes, et l’expérience m’a appris à quel point elles sont indépendantes. J’ai rencontré des maîtres merveilleux, qui imaginaient sans cesse de nouvelles méthodes d’enseignement, et tenaient bien en main toute leur classe ; les progrès d’instruction, d’éducation et même d’intelligence qu’ils faisaient faire à leurs élèves étaient indéniables. Mais ces enseigneurs n’étaient nullement des observateurs ; ils ne pouvaient presque rien nous apprendre sur l’histoire, les aptitudes, les caractères de leurs élèves, et, par conséquent, ce qu’ils savaient restait leur propriété personnelle et incommunicable. Seguin, le célèbre professeur d’anormaux, était un instituteur de cette espèce ; il a écrit des livres où il n’y a rien. J’en ai vu d’autres, bons esprits aussi, qui assistaient à mes recherches d’observation, mais les troublaient constamment par des interventions intempestives qui me prouvaient qu’ils n’avaient pas compris la différence entre l’enseignement et l’observation ; quand il s’agissait uniquement de voir, d’observer, de juger, c’est-à-dire de constater un état de fait, ils avaient l’obsession de redresser, corriger, enseigner ; ils ressemblaient à ces examinateurs qui, au lieu de se contenter de poser des questions, veulent faire constamment la leçon au candidat.

La formation d’esprit qui est nécessaire à un observateur est donc toute différente de celle d’un professeur ; ajoutons que c’est une éducation qui ne s’improvise pas ; ajoutons encore et surtout que cette éducation ne peut pas s’acquérir uniquement en écoutant des cours.