Page:Binet - Les Idées modernes sur les enfants.djvu/207

Cette page a été validée par deux contributeurs.
200
LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

nière la plus naturelle par la mémoire visuelle : après avoir vu, on visualise ; et la visualisation est la conséquence logique, le prolongement de la vision ; cependant on rencontre des artistes qui, lorsqu’ils veulent se rappeler une forme, ne se contentent pas de la regarder ; ils en suivent le contour attentivement avec le doigt ; de sorte que pour la reproduire, ils ont la double action de la mémoire des yeux, et de la mémoire du mouvement. De même, un objet matériel, comme un arbre, vit presque complètement dans le monde visuel ; c’est avant tout un langage pour la vue ; il est un tronc gris ou jaune, rugueux, pelé, surmonté de petites taches vertes, claires, grises, sombres qui s’agitent ; mais au lieu du tableau visuel, nous pouvons avoir l’image auditive d’un quelque chose qui fait un bruit léger quand le vent passe à travers ; et il est possible qu’un vrai musicien, si attentif à la voix de toute chose, s’absorbe dans ce bruit délicat, en perçoive les nuances, les harmoniques, et y découvre un monde d’idées qui nous est complètement inconnu, et fasse avec ce bruit la personnalité de l’arbre. Néanmoins, la mémoire qui s’exerce le plus naturellement pour retenir les objets matériels est la mémoire de la vue. Sur ce point, les témoignages et les expériences abondent[1].

En est-il autrement pour le langage ? On a cru longtemps que comme le langage s’adresse naturellement à l’oreille, il doit être retenu surtout par la mémoire auditive. On s’est imaginé que lorsqu’on cherche à se rappeler une leçon entendue, une conversation,

  1. Je citerai seulement : H. Höffding, Esquisse d’une psychologie fondée sur l’expérience, Paris, Alcan, 1900, p. 194, et les articles de Lemaître, Netschaeff, Kuhlmann, etc. Tous ces articles, qui résument des recherches expérimentales, et le dernier surtout (paru dans The American Journal of Psychology, oct. 1907, p. 389, et avril 1909, p. 194), ont abouti à montrer, comme nous le disons dans le texte, l’importance primordiale des images visuelles et des images motrices d’articulation.