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LA MÉMOIRE

bien mieux l’étudier de près, constater l’étendue de la faiblesse de mémoire qu’il présente, se montrer heureux de ses moindres efforts. Et même, ce n’est pas assez dire. Si le maître est tout à fait bienveillant, il cherchera à donner des conseils à l’enfant, il lui indiquera des exercices pour entraîner et fortifier sa mémoire. Je voudrais aussi que l’on proportionnât l’étendue des leçons à la capacité de chacun. D’ordinaire, le nombre de lignes à apprendre est fixé pour toute la classe, sans distinction, par une sorte de législation invariable, qui ne tient aucun compte des individualités. Ceux que la nature a doués d’une mémoire ingrate en souffrent beaucoup ; ils sont sans cesse inquiets de la leçon qui n’est pas sue, et de la punition qui les menace. Un magistrat de mes amis me disait que son défaut de mémoire, dont aucun maître ne s’était avisé, avait été la torture de ses années de lycée. Il est vraiment antihygiénique, antiéducatif, de traiter tous les enfants de la même manière. Voici par exemple deux élèves, Gende… et Bar…, âgés tous deux de douze ans, et qui sont dans la même classe. Leur mémoire est tellement inégale que pendant le temps où l’un apprend soixante et un vers, dans une expérience que je dirai tout à l’heure, l’autre ne peut pas en apprendre un seul. N’est-il pas ridicule de leur imposer des leçons de même longueur ? Ce serait comme si on imposait la même ration alimentaire à deux enfants dont l’un aurait un estomac d’autruche, et dont l’autre serait dyspeptique.

La surcharge des leçons de mémoire chez un enfant dont la mémoire est débile ne peut avoir qu’un effet très fâcheux ; il en résulte des souvenirs confus, mal liés et inutilisables. Ne serait-il pas préférable pour lui, pour son instruction, pour le développement de son intelligence, de tenir compte de l’infirmité de sa mémoire, et de lui faire apprendre peu et bien ? Sans doute, un maître avisé ne déclarera pas ouvertement