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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

leurs camarades du cours moyen[1]. C’est une réhabilitation de la mémoire ; peut-être pas de la mémoire en général, de la mémoire brute, mais plutôt de la mémoire d’idées et de compréhension. Nous reviendrons dans un instant sur cette question.

Les considérations précédentes ont leur contre-partie. S’il est bon d’avoir une mémoire grande, il est nuisible d’en avoir trop, et on en a trop, — non pas d’une manière absolue, cela n’aurait aucun sens, — mais lorsque la mémoire dépasse en force l’intelligence qu’on possède, ou lorsqu’elle est tellement surabondante qu’on n’en peut faire aucun usage intelligent.

Pour prendre une comparaison, la mémoire est un domaine à cultiver ; l’intelligence est le capital qu’on met dans cette culture ; si la mémoire est trop grande pour ce qu’on a d’intelligence, c’est comme si on était propriétaire d’un très vaste domaine, mais qu’on manquât d’argent pour le mettre en valeur.

Je crois que c’est justement quand la mémoire est disproportionnée à l’intelligence qu’on l’accuse d’être inutile. J’ai vu des exemples très nets de cette inutilité chez des imbéciles. Disons d’abord qu’on commet une erreur, ou qu’on en suggère une, lorsqu’on parle de la grande mémoire des imbéciles ; ce n’est point là une règle générale, mais une exception très rare. Nous avons étudié, avec le docteur Simon, des centaines de sujets imbéciles et débiles, dans nos écoles primaires et dans les hospices d’aliénés, et nous avons constaté que le plus souvent, presque toujours, l’étendue de leur mémoire est loin de présenter un développement insolite : au contraire, à petite intelligence correspond petite mémoire, voilà la règle.

Ainsi, quand nous essayons de leur raconter, à ces imbéciles, une histoire un peu détaillée, mais

  1. A. Binet. Addition au rapport de M. Parisot. Bulletin de la Soc. de l’Enfant, Alcan, no 17, 1904.