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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

caractère, et si leur état peut être amendé. C’est une question qui a une grande importance sociale ; et on doit se préoccuper constamment de diminuer le nombre de ces déchets, afin qu’ils ne deviennent pas définitifs. Mais, je le demande, combien y a-t-il de maîtres qui aient fait une étude attentive de ces cancres, qui aient cherché à les secourir, et qui se soient dit : « si ces élèves réussissent si mal dans leurs études, c’est peut-être ma faute autant que la leur ? »

Je suis persuadé que plusieurs maîtres excellents s’en sont préoccupés ; mais je sais par expérience que beaucoup aussi ne se doutent même pas qu’il y a là une question à étudier, un devoir professionnel à accomplir ; ils semblent admettre implicitement que dans une classe où il y a des premiers, il doit y avoir aussi des derniers, que c’est là un phénomène naturel, inévitable, dont un maître ne doit pas se préoccuper, comme l’existence de riches et de pauvres dans une société. Quelle erreur encore !…

Et puisqu’il est bon de toujours procéder par des exemples réels, concrets, vivants, je relaterai ici ce que j’ai observé un jour dans une école normale d’instituteurs de province. Il y a de cela une dizaine d’années. Je faisais alors des expériences, avec mon cher ami et collaborateur Victor Henri, sur une promotion d’élèves-maîtres. Cette promotion n’était pas composée uniquement de sujets brillants ; les premiers ne manquaient pas de finesse d’esprit ; mais ceux que le directeur d’école avait classés derniers étaient véritablement des natures très lourdes, qui auraient été à leur place derrière la charrue beaucoup mieux que dans une chaire de professeur. L’inspecteur d’Académie m’avait expliqué la raison déplorable de cette infériorité ; le département était riche, peuplé de châteaux, et les jeunes gens intelligents qui voulaient gagner beaucoup préféraient entrer dans la grande domesticité de ces châtelains ; on avait beaucoup de peine à