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L’INTELLIGENCE

continuent à régner en souveraines, c’est de consister en leçons verbales, que le professeur prononce, et que les élèves écoutent passivement. La leçon ainsi conçue a deux défauts : elle n’impressionne l’élève que dans sa fonction verbale, elle lui donne des mots, au lieu de le mettre en commerce avec les choses réelles ; et de plus, elle ne fait fonctionner que sa mémoire, elle le réduit à l’état de passivité ; il ne juge rien, il ne réfléchit à rien, il n’invente pas, il ne produit pas, il n’a besoin que de retenir ; l’idéal pour lui est de réciter sans faute, faire fonctionner sa mémoire, savoir ce qui est dans le manuel, et le répéter à l’examen avec habileté. Là, on le juge par les effets de sa parole, de son bagout, par le paraître. Le résultat de cette pratique déplorable, c’est d’abord un défaut de curiosité pour tout ce qui n’est pas le livre, une tendance à chercher la vérité uniquement dans le livre, la croyance que l’on fait des recherches originales en feuilletant un livre, un respect exagéré de l’opinion écrite, une indifférence aux leçons du monde extérieur, dont on ne voit rien, une croyance naïve à la toute-puissance des formules simples, un abaissement du sens de la vie, un embarras pour s’adapter à l’existence contemporaine, et surtout, par-dessus tout, un esprit de routine, bien déplacé à une époque où l’évolution sociale se fait avec un train d’enfer.

Dernièrement, dans une enquête que je faisais sur l’évolution de l’enseignement philosophique dans les lycées et les collèges, je recevais de plusieurs de mes correspondants de curieuses confidences sur la mentalité des jeunes gens qui composent la classe de philosophie. Ils ont, me disait-on, le goût inné pour la discussion, non pas la discussion des faits, mais la dialectique ; ce qui les prend, c’est le désir de la joute oratoire, pour le plaisir de défendre une opinion quelconque, avec des arguments purement théoriques, et sans se soucier, au fond, d’être dans la vérité. N’est-