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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

se mettre en retard de trois ans dans ses études, pour ne savoir qu’à douze ans ce qu’en général les enfants savent à neuf ans, il faut manquer d’attention ou de compréhension. Les épreuves les plus sévères défendent la porte des classes spéciales on n’y admet que les retardataires avérés, ceux qui ont fréquenté régulièrement l’école. On pouvait supposer que ces enfants ne profiteraient en rien de l’enseignement spécial et que ces nouvelles classes seraient un « bluff », ajouté à tant d’autres.

On pouvait supposer aussi que comme il n’existe point à proprement parler de pédagogie spéciale, et que la pédagogie est la même pour tous, le maître le meilleur ne pourrait pas faire plus pour ces anormaux qu’on ne fait d’ordinaire pour les normaux. C’est exactement ce que m’objectaient tout au début les professeurs d’anormaux. Ils me disaient « S’il y a des méthodes nouvelles, originales, montrez-les-nous »… Et nous étions obligés de leur répondre que non, qu’ils devaient faire dans ces classes comme dans les classes ordinaires ; et cette réponse les décourageait. Puis, nous avons eu la surprise et la joie de constater que toutes ces craintes du début étaient vaines. Au bout d’un an, nous avons repris l’un après l’autre tous ces écoliers anormaux, nous connaissions leur degré de savoir à leur entrée dans les classes, nous avions conservé leurs anciens cahiers de devoirs. Nous avons mesuré leurs connaissances nouvelles, et nous avons vu leurs progrès. Ces progrès, ils étaient déjà visibles dans l’aspect extérieur de leur personne ; leur attitude était moins sournoise, leur mine plus éveillée et plus attentive, leur manière de s’habiller plus soignée ; mais ce ne sont là que des apparences, et elles peuvent être trompeuses. Ce qui nous convainquit, c’est que dans des dictées rigoureusement équivalentes, ils faisaient moins de fautes ; c’est que dans la lecture, ils mettaient plus d’expression et