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COMMENTAIRE HISTORIQUE

Binet qui l’a vraiment vulgarisée par sa troisième rédaction de la Vie de Ronsard tout à fait à la fin du xvie siècle. On ne la trouve, en effet, ni dans les Epithetes françoises de Maurice de la Porte (1571), où pourtant il est souvent question de Ronsard et de son groupe littéraire ; ni dans la préface de l’édition collective des Œuvres de Tyard (1573), où celui-ci énumère les six ou sept meilleurs poètes de l’école ronsardienne, en ajoutant que « quelques autres suivirent doctement mesme trace » ; ni dans la préface de l’éd. coll. des Œuvres de Jodelle par Ch. de la Mothe (1574), où pourtant l’occasion s’offrait également belle ; ni dans les Œuvres poëtiques d’Am. Jamin (1575, 1577, 1579, 1584) ; ni dans le Tombeau de Ronsard, ni dans les éloges funèbres composés en son honneur par Du Perron, Velliard, Critton, pas plus que dans les deux premières rédactions de la Vie de Ronsard par Binet ; ni chez Brantôme, ni chez d’Aubigné, ni chez de Thou, ni chez Estienne Pasquier.

Quant au terme de Brigade, à la fois plus belliqueux et plus modeste que celui de Pléiade, on le trouve au contraire couramment employé dans la seconde moitié du xvie siècle, et dès 1549, pour désigner Ronsard et le groupe nombreux de ses émules. Mlle Evers, argumentant à ce sujet contre M. Chamard, conclut que le terme brigade est toujours employé comme nom commun, et non pas comme nom distinctif appliqué spécialement à Ronsard, à ses condisciples de Coqueret et à ses amis littéraires (op. cit., pp. 132 à 134). Je ne puis partager entièrement son opinion. Évidemment dans la plupart des exemples qu’elle cite le mot brigade est un simple synonyme de troupe : « amoureuses brigades de satyres » (Ronsard, Bl., II, 160), « le premier d’une telle brigade », « la celeste Uraine entre ceste brigade » (Dorat, M.-L., 23 et 52), « Belleau qui vins en la brigade des bons » (Ronsard, Bl., VI, 202), « ceste brigade de muguets ignorans » (Binet). Mais, d’abord, les deux autres exemples invoqués par elle :

Io, j’entens la brigade,
J’oy l’aubade
De nos compaings enjouez...
.........
Sus, conduisez d’une aubade
La brigade,
O vous, chantres honorez...


extraits des Bacchanales de Ronsard (1549), me semblent de nature à prouver le contraire de ce qu’elle avance, car le mot brigade y est employé absolument, pour désigner spécialement Ronsard et « la joyeuse trouppe de ses compaignons ». Ensuite il n’est pas exact de dire que l’interprétation du mot brigade comme un nom propre ou distinctif « est fondée uniquement sur ces passages ». Belleau, dans une ode qu’il écrivit en 1560 pour le 1er  livre des Recherches d’E. Pasquier, déplore les tristes destinées de la « brigade », qui vient de perdre Du Bellay (éd. Marty-Lav., I, 118). En février 1553, Ronsard dans ses Dithyrambes désigne par ce terme la troupe des poètes qui fête à Arcueil les succès dramatiques de Jodelle (Bl., VI, 382), et il le reprend ainsi dix ans plus tard, dans sa Responce aux injures :