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ET CRITIQUE

sages n’allaient pas sans une pointe de malice. Mais quelques années plus tard, en 1578, c’est sans la moindre ironie qu’il parle de « certaines odes d’aucuns des poetes qui sont de la Pleïade » (Dialogues du nouveau langage)[1]. À la même date paraissent les Sonets exoteriques de G.-M. Imbert, un ancien condisciple de Ronsard et de Baïf au collège de Coqueret, qui leur exprimait une admiration sans réserve et dont le témoignage, par conséquent, ne peut pas être suspecté ; or voici le sonnet qu’il adressait à Dorat :

Le disciple parfois en grandeur de savoir
Et en toute vertu va surmontant le maistre :
Ce cas est advenu maintefois, et peut estre
Que le maistre candide a plaisir de le voir.
D’Aurat, ce m’est plaisir que de ramentevoir
Que Dieu m’ait fait ce bien que de me faire naistre
En ton temps, et m’ait fait de ta doctrine paistre.
Que j’ay fait par l’oreille à l’esprit recevoir.
Mais ce n’est moi qui rend ce propos veritable,
Ne meritant, d’Aurat, d’estre à toi comparable,
Ni d’estre mis au rang des disciples premiers.
Car je sçay que ne suis de la docte brigade.
Et qu’encor moins je suis de ceux de la Pleïade.
Qui dit que je ne sois le moindre des derniers[2] ?

Ainsi donc la dénomination de « la Pléiade » a bien existé du temps de Ronsard pour désigner les sept meilleurs poëtes de son école (lui compris). Mais il est inexact de dire, comme l’a fait Binet, et comme on l’a répété depuis plus de trois siècles, que c’est Ronsard lui-même qui est l’auteur de cette dénomination, et qu’elle date du règne de Henri II. Elle date en réalité du règne de Charles IX, et c’est aux huguenots que nous la devons[3].

Je vais plus loin : je pense que cette dénomination ne fut même pas très courante sous les règnes de Charles IX et de Henri III, et que c’est

  1. Ces passages de H. Estienne ont été cités par L. Clément dans sa thèse sur Henri Estienne et son œuvre française, pp. 154, 160, 169, et par Mlle Evers, loc. cit.
  2. Réimpression de Tamizey de Larroque, 1872, p. 21.
  3. Je crois utile de signaler ici trois textes curieux du temps de Henri II, où le terme de Pléiade ne figure pas, bien que sa place y fût tout indiquée, semble-t-il, s’il avait désigné dès lors l’école ronsardienne : 1° Au livre II de son Monophile, qui date de 1554, E. Pasquier, parlant des trois meilleurs poètes français de son temps qui aient écrit sur le sujet de l’amour (Ronsard, Du Bellay, Tyart), et des autres, qui, malgré leur infériorité, « meritent grande louange et immortalité de nom », se contente de dire « toute ceste compagnie » (Œuvres de Pasquier, édition d’Amsterdam, 1723, t. II, col. 771). — 2 ° La même année, Loys le Caron réunissait dans une pièce de sa Poësie, intitulée le Ciel des Graces, comme membres de la « troupe chantante », Ronsard, Saint-Gelais, Jodelle, Sceve, Bellay, Dorat, Muret, Peruse, le Masconnois (Tyard), Baïf, Panjas, Alcinois (Denisot), Tahureau, Des Autelz, Magny et De Mesme. — 3° En 1556, parut à Lyon chez Thibauld Payan un volume contenant une réédition de l’Art poët. de Th. Sibilet, une réédition du Quintil Horatian et un Autre Art poëtique reduit en bonne methode (anonyme), le tout couronné par un sonnet, également anonyme, où se trouvent énumérés les « excellens poëtes François » d’alors, savoir : Ronsard, Jodelle, du Bellay, Tyard, Le Caron, Sibilet et Denisot. Aucune trace du terme de Pléiade dans ce volume, pas même une allusion, non plus que dans l’Art poëtique de J. Peletier, paru en juin 1555.