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COMMENTAIRE HISTORIQUE

Ce passage, plagié par Binet, offre cet intérêt particulier qu’il nous fixe sur la vraie valeur historique du terme de Pléiade appliqué à l’école de Ronsard. Ce ne fut primitivement qu’une métaphore, et non pas une appellation réelle, courante, ayant un caractère officiel ou simplement public. Bien mieux, cette métaphore ne remonte pas au delà de 1556, Ronsard est le seul à l’avoir employée parmi les poètes dits « de la Pléiade », et il ne l’a employée qu’une seule fois. C’est dans l’Elegie à Chr. de Choiseul, publiée en tête de l’Anacréon de R. Belleau au mois d’août 1556[1]. Après y avoir rappelé que « cinq ou six poëtes seulement » s’étaient distingués au début du règne de Henri II, et qu’ils furent suivis d’une « tourbe incognue de serfs imitateurs », Ronsard compare la France poétique à une terre qui a d’abord produit une brillante moisson, puis s’est reposée, se laissant envahir de mauvaises herbes, et il ajoute ces vers :

Maintenant à son tour fertile elle commence
A s’enfler tout le sein d’une belle semence,
Et ne veut plus souffrir que son gueret oiseux
De chardons se herisse et de buissons ronceux,
Te concevant, Belleau, qui vins en la brigade
Des bons pour accomplir la septiesme Pleïade.


Tel est le passage de 1556 auquel Ronsard a fait allusion dans son Epistre au lecteur de 1563. On voit qu’il s’était contenté d’assimiler métaphoriquement sept poètes français à la Pléiade alexandrine contemporaine des premiers Ptolémées 2.

Comme l’a fort bien remarqué Mlle Evers (op. cit., p. 134), l’expression de 1563 « Il me souvient » et l’explication que Ronsard a donnée alors du sens du mot Pléiade suffiraient à prouver que cette appellation n’était pas généralement connue, et que par conséquent elle ne servait pas encore à désigner l’école de Ronsard. Ce sont les poètes huguenots qui, raillant cette métaphore de Ronsard comme un témoignage de son orgueil, la répandirent à partir de 1563 ; si bien qu’on finit par la lui appliquer sans moquerie, à lui et aux poètes catholiques de sa « volée » qui « s’estoient fait apparoistre comme grandes estoilles »[2]. Dès 1566, H. Estienne emploie ce terme de Pléiade avec l’acception qu’il a gardée jusqu’à nos jours, comme nom distinctif de l’école érudite dont Ronsard était le chef, et il l’emploie sans explication comme un terme que ses lecteurs devaient facilement comprendre : « ... aux poetes de la Pléïade qui sont pour le jour d’huy » ; « s’il m’est permis de pleïadizer, c’est-à-dire contrepeter le language de messieurs les poetes de la pleïade » (Apologie pour Herodote). On peut penser qu’à cette époque, sous la plume de H. Estienne, qui était un ami de Th. de Bèze, ces pas-

  1. La dédicace de l’Anacréon de Belleau à Chr. de Choiseul est datée du 15 août. Sur l’élégie liminaire de Ronsard, voir ci-dessus, p. 195, au mot « Choiseul ».
  2. Expressions de Ronsard lui-même tirées de l’Epistre au Lecteur citée plus haut (Bl., VII. 145).