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COMMENTAIRE HISTORIQUE

nion de mes amis, adjouter ou diminuer, comme celuy qui ne jure en l’amour de soymesmes, ny en l’opiniastreté de ses inventions. »

Ronsard fut toujours très attentif aux conseils et aux remarques de l’élite de ses lecteurs. Son empressement à recueillir les jugements des amis, à noter même les critiques des adversaires, en vue d’une nouvelle édition, et, en général, sa docilité à l’égard du public lettré, étonnent de la part d’un chef d’école arrivé presque d’emblée à une gloire sans rivale. Ce livre ne t’est laché, disait-il au lecteur de ses Odes en 1550, « que pour aller découvrir ton jugement, affin de t’envoier aprés un meilleur combatant. » (Cf. Bl., II, 13.) Et quinze ans plus tard, alors qu’en son pays et à l’étranger il passait pour le plus grand poète français, voici le conseil qu’il donnait à Alphonse Delbene dans son Abbregé de l’Art poëtique : « Tu converseras doucement et honnestement avec les Poëtes de ton temps : tu honnoreras les plus vieux comme tes peres, tes pareils comme tes freres, les moindres comme tes enfans, et leur communiqueras tes escrits : car tu ne dois rien mettre en lumiere, qui n’ayt premierement esté veu et reveu de tes amis, que tu estimeras les plus expers en ce mestier ». (Cf. Bl., VII, 319.)

P. 41, l. 25. — extreme vice. Reminiscence de ces vers d’Horace :

....mediocribus esse poetis
Non homines, non di, non concessere columnae...
Sic animis natum inventumque poema juvandis,
Si paulum summo decessit, vergit ad imum...

(Epit. aux Pisons, 370 et suiv.)


ou plutôt plagiat de ces lignes de Ronsard parues dans la première édition posthume : « Tu n’ignores pas, lecteur, qu’un poëte ne doit jamais estre mediocre en son mestier, ny sçavoir sa leçon à demy, mais tout bon, tout excellent et tout parfaict. La mediocrité est un extreme vice en la poësie : il vaudroit mieux ne s’en mesler jamais et apprendre un austre mestier. » (3e préf. de la Franciade, Bl., III, 32.)

P. 41, l. 28. — à son suject. Il n’y a de virgule après suject dans aucune édition. Le passage étant obscur j’ai respecté la ponctuation ; mais je pense qu’il faut comprendre comme s’il y avait une virgule, et faire rapporter qui à style moien.

Cf. Horace, Epitre aux Pisons, vers 24 et suiv. ; Ronsard, dans l’élégie A Chr. de Choiseul (1556) :

Mais ce n’est pas le tout que d’ouvrir le bec grand,
Il faut garder le ton dont la grace despend
Ny trop haut, ny trop bas, suivant nostre nature
Qui ne trompe jamais aucune creature... (Bl., VI, 201.)


et dans ce sizain que lui inspira la Sepmaine de Du Bartas, vers la fin de sa vie :

Je n’ayme point ces vers qui rampent sur la terre,
Ny ces vers empoullez, dont le rude tonnerre
S’envole outre les airs : les uns font mal au cœur
Des liseurs desgoutez, les autres leur font peur :
Ny trop haut ny trop bas, c’est le souverain style,
Tel fut celui d’Homere et celuy de Virgile. (Bl., V, 349.)