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ET CRITIQUE

la 2e édition de l’Olive : « Or ay-je depuis experimenté ce qu’au paravant j’avoy assez preveu, c’est que d’un tel œuvre (la Deffence) je ne rapporteroy jamais favorablement jugement de noz rethoriqueurs », ce n’est pas Saint-Gelais qu’il désigne ainsi, mais Sibilet et Barth. Aneau, lesquels avaient en effet riposte à certaines attaques de la Deffence, le premier dans la préface de son Iphigene, le second dans le Quintil Horatian ; et la preuve, c’est que dans la Musagnæomachie, publiée en même temps que la seconde édition de l’Olive, il compte Saint-Gelais parmi les « favoris des Grâces » et dans les rangs des doctes poètes qui combattent le monstre Ignorance.

Non, il ne faut pas mêler Du Bellay à la querelle de Saint-Gelais et de Ronsard, à laquelle il ne semble pas avoir pris part, et qui a duré de juin 1550 environ au 1er  janvier 1553. En veut-on une nouvelle preuve ? Guillaume des Autels n’a pas dit un mot de Du Bellay dans l’ode intitulée De l’accord de Messieurs de Saingelais et de Ronsart, qui est la dernière de ses Façons lyriques (publiées en juin 1553).

Aussi la fameuse satire de Du Bellay intitulée le Poëte Courtisan, à laquelle Mlle Evers consacre plusieurs pages (op. cit., pp. 175 et suiv.), n’a-t-elle aucun rapport avec la querelle de Saint-Gelais et de Ronsard. Non seulement elle a été publiée en 1559, et composée au moment même où Du Bellay écrivait pour Saint-Gelais une très louangeuse épitaphe et préparait son Tombeau de Saint-Gelays, où il célèbre « la grâce de ses poésies et se fait l’apôtre de sa gloire », alors que rien ne l’y obligeait (Chamard, J. du Bellay, pp. 422 et suiv) ; mais Du Bellay dans le Poëte Courtisan n’a pas visé Saint-Gelais plus que les autres poètes du temps de Henri II, et la plupart des traits de cette satire retombent autant sur les poètes de la Pléiade que sur les derniers représentants de l’école Marotique : en 1559, il n’y a pas en France de poète plus « courtisan » que Ronsard et Du Bellay (cf. Chamard, Id., pp. 431 et suiv., et ma thèse sur Ronsard p. lyr., première partie, chap. iii, §§ 3-5).

Une dernière remarque critique, Mlle Evers s’attache à prouver que la réconciliation ne fut pas sincère, ni d’un côté ni de l’autre. En ce qui concerne Saint-Gelais, les preuves invoquées (p. 166, note 5) n’ont aucune valeur : ce sont deux textes de Blanchemain, dont l’un est démenti par les faits et extrait d’une page que Mlle Evers elle-même reconnaît ailleurs (p. 159) purement fantaisiste (il s’agit de la p. 24 de la Notice sur Mellin de S. G.), et l’autre, tiré de la Notice sur Ronsard (VIII, 24), a été heureusement corrigé par Blanchemain lui-même au tome II de son éd. des œuvres de Saint-Gelais, p. 263 (v. ci-dessus, p. 137, note sur les mots « une Palinodie »).

En ce qui concerne Ronsard, les seules preuves indiquées avec une apparence de force viennent de suppressions ou de variantes de ses éditions postérieures à la mort de Saint-Gelais. Il est vrai que le nom de Saint-Gelais disparaît en 1560 du sonnet Pour celebrer des astres, et n’y reparaît plus ; mais cela s’explique sans faire intervenir l’antipathie ou le mépris de Ronsard pour Saint-Gelais : Pontus, Du Bellay, Des Autels et Baïf, qui seuls sont nommés en 1560 dans ce sonnet, avaient tous célébré une femme dans un recueil de sonnets (Pasithée, Olive,