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INTRODUCTION

attainct l’âge de quinze ou seize ans », quand il alla voir Ronsard pour la première fois et lui présenta « les premices de sa Muse ». Mais il a oublié de nous apprendre l’essentiel, en quelle année et en quel mois il fit cette visite mémorable qui devait avoir une si grande influence sur sa carrière littéraire.

Pour moi, Claude Binet, de Beauvais, n’avait pas plus de vingt ans quand il publia son premier recueil de vers, les Diverses Poësies, en janvier 1573[1]. Il serait né en 1553. On sait en effet, par la Statistique des cantons de l’Oise (de Graves) et le Dictionnaire des hommes illustres de l’Oise (de Braisne), qu’il perdit son oncle Jean Binet en 1561. Cet oncle, jurisconsulte et poète, avait été son initiateur, sinon dans la science du droit, au moins dans l’art des vers. D’après deux strophes de Claude Binet, qu’on lit dans la Deploration des miseres humaines sur la mort de maistre Jean Binet, celui-ci avait « planté les Lauriers sacrez » dans la « tendre poitrine » de son neveu, et ces lauriers y « verdirent » plus tard « de soucis et regretz », lorsque le neveu fut capable de comprendre et de pleurer dignement la perte qu’il avait faite en la personne de ce bon oncle[2]. Je ne crois pas téméraire d’en conclure qu’en 1561 Cl. Binet pouvait avoir de huit à neuf ans. Il aurait « déploré » la mort de son oncle seulement quelques années après, mettons dans sa seizième année au plus tôt, si c’est à cet âge, comme il le dit, qu’il alla montrer à Ronsard ses premiers vers.

Autres preuves. Outre cette « deploration », le recueil des Diverses Poësies contient un Sonet sur les trespas de Mgr de Guise, de Martigues et de Brissac[3], dont le premier est mort en février 1563, le second et le troisième en 1569, une Complainte sur le trespas de J. Grevin, mort en novembre 1570, une Ode trionfale sur l’arrivée d’Elisabeth d’Autriche Royne de France qui eut lieu au mois de mars 1571, une Complainte sur le trespas de M. Claude Despence, mort en 1571, une cinquantaine d’autres pièces, sonnets, odelettes, vœux, épigrammes, chant forestier, qui sont de dates indéterminables. Or Cl. Binet était très jeune quand il écrivit tous ces vers. Cela ressort de la dédicace même du volume « à messire René de Voier, Vicomte de Paulmy, Chevalier de l’ordre du Roy, et Gentilhomme ordinaire de sa Chambre ». J’ai osé, lui dit-il, accompagner les œuvres de La Peruse « d’un petit échantillon de mes

  1. À la suite de son édition des Œuvres de J. de la Peruse. La dédicace est datée du 1er  janvier 1573 (Bibl. Nat., Rés. pYe 295).

    J. de la Peruse mourut en 1554. Il n’a donc pas pu être son ami comme le dit Mlle Evers, op. cit., p. 3. Le texte qu’elle cite fait allusion à l’amitié de René de Voier, comte de Paulmy, pour La Peruse.

  2. Ce thrène de Cl. Binet est au recueil des Diverses Poësies. Voici le passage : « Car soit qu’ardent le Digeste ou le Code | Te tinssent en leur sein, | Soit qu’Apollon aux gais bords de Terain | T’empeschât sur une Ode | Ou sur un vers d’une aigre douceur plein, | J’estoy l’objet de ta fureur divine | Et de tes vers sucrez, | Quand tu plantois les vers Lauriers sacrez | En ma tendre poitrine. | Qui verdit or de soucis et regretz »
  3. Martigues est mort au siège de St-Jean-d’Angély (fin de 1569) ; pour Brissac, on peut hésiter entre le maréchal Charles de Cossé-Brissac, mort en 1563, et son fils Timoléon, mort prématurément en avril 1569. Dans tous les cas, le sonnet n’a pu être écrit avant la fin de 1569.