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ET CRITIQUE

Cl. Marot (publiée à la fin de la première édition de l’Olive), « dont la forme et le tour rappellent tout à fait les épigrammes de la vieille école » (H. Chamard, J. du Bellay, pp. 30 et 73).

D’autre part, il est vrai que Baïf n’avait en 1547 que 15 ans et n’avait encore rien publié quand parurent la Deffence, l’Olive et les Vers Lyriques de Du Bellay, plus âgé que lui de 8 ans environ. Mais faut-il en conclure, avec Mlle Evers, que le jeune Baïf n’a exercé aucune influence sur Du Bellay à Coqueret ? Il faudrait admettre aussi que Baïf n’a été utile en rien à Ronsard, et nous savons le contraire (v. ci-dessus, p. 11). L’influence dont parle Binet n’est pas celle des œuvres, mais celle de la conversation. Le style de Du Bellay a pu profiter de « la hantise de Baïf », si celui-ci lui interprétait avec enthousiasme, comme à Ronsard, les passages les plus difficiles des poètes grecs et lui vantait l’importance de la mythologie comme moyen d’enrichissement de la poésie française. Au reste, je reconnais que le goût de l’expression érudite et gréco-latine a dû venir à Du Bellay plutôt de Dorat, qui avait sur Baïf l’incontestable supériorité de l’âge, de la science, de l’habitude de l’enseignement.

Quant à l’influence de Ronsard sur le style de Du Bellay, elle dut être de même nature et s’exercer par la conversation, par l’explication et l’étude approfondie des poètes anciens. Il est certain, comme le rappelle Mlle Evers, que l’influence antérieure de Peletier du Mans sur Du Bellay a été considérable ; que quelques-unes des idées de la Deffence (principaux chap. du liv. I et chap. vi du liv. II) viennent de la dédicace de la traduction de l’Art poët. d’Horace (1545) et de propos tenus par Peletier à Du Bellay en 1546 (à Poitiers ou au Mans) et en 1547 (à Paris), propos que l’on trouve résumés dans la pièce des Œuvres Poëtiques intitulée A un poëte qui n’ecrivoit qu’en latin (septembre 1547) et dans le « proëme » du 3e liv. de l’Arithmétique (févr. 1549, n. st.). Cf. H. Chamard, J. du Bellay, pp. 33 et suiv. ; P. Laumonier, Introd. aux Œuvres Poët., p. xiv-xvi, et Commentaire, pp. 148 et suiv., 179 et 187. — Il est certain aussi que c’est « à la persuasion de Jacques Peletier » que Du Bellay « choisit » comme genres poétiques et rythmes à cultiver « le sonnet et l’ode », et cela en 1546 ; nous le savons par Du Bellay lui-même (préf. de la 2e éd. de l’Olive, et ode Contre les envieux poëtes, octobre 1550). Cf. H. Chamard, Rev. d’Hist. litt., 1899, pp. 41-42, et J. du Bellay, p. 32 ; P. Laumonier, Comment. cit., pp. 184 et suiv.

Mais il ne s’agit là que d’idées pour la « deffence » de la langue française, et de cadres poétiques, tandis que Binet ne parle que du style de Du Bellay. Or je crois précisément que certains chap. du manifeste de la nouvelle école signé par Du Bellay, ceux qui traitent du style poétique et des moyens d’« illustrer » la langue de la poésie, ne viennent pas tant de Peletier que des maîtres et condisciples du collège de Coqueret, notamment de Ronsard, dont Du Bellay a écrit dans la 2e préf. de l’Olive : « L’ode, quand à son vray et naturel stile, [est] representée en nostre langue par Pierre de Ronsard », et : « Voulant satisfaire à l’instante requeste de mes plus familiers amis, je m’osay bien avanturer de mettre en lumiere mes petites poësies ; apres toutesfois les avoir