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INTRODUCTION

édition posthume des œuvres du poète, Binet y joignit son Discours, mais non sans l’avoir profondément remanié. Dix ans plus tard enfin (1597), la Vie de Ronsard reparut, augmentée et corrigée d’une manière considérable, dans l’édition nouvelle que donna du Vendômois la veuve de Gabriel Buon. C’était cette fois la rédaction définitive, celle qu’on retrouve dans toutes les éditions subséquentes, et qui de nos jours continue de faire autorité. » Et, rapprochant les trois textes sur le point qui l’intéressait particulièrement, M. Chamard montrait que le récit de Binet, d’abord vraisemblable, avait été par deux fois tellement modifié dans le sens favorable à Ronsard qu’il était devenu invraisemblable et même faux[1].

J’avais moi-même été frappé, dès le début de mes études sur la vie et l’œuvre de Ronsard, de l’indifférence, disons mieux, de l’ignorance de Binet en fait de chronologie, des lacunes de sa documentation, de son défaut de sens critique, du vague et de l’incohérence de ses assertions, du caractère faussement littéraire de sa narration. J’y trouvais trop d’enjolivements, pas assez d’arguments, trop de phrases, pas assez de faits. J’avais notamment remarqué que, dans la première partie de son opuscule, Binet s’était contenté de délayer l’élégie autobiographique de Ronsard à Remi Belleau, sans connaître sa date, ni sa primitive adresse au panégyriste Pierre Paschal, et sans se douter, par conséquent, des préoccupations d’immortalité qui l’avaient dictée au poète, lui faisant embellir, ou altérer d’autre façon, la pure vérité. Cette manière de biographie ne m’étonnait pas pour l’époque[2], mais je m’étonnais qu’on eût ajouté foi si aisément à la parole de Binet, disciple enthousiaste, ami fervent, voire même avocat de Ronsard, très prévenu en sa faveur et très insuffisamment informé, et que personne n’eût encore entrepris méthodiquement la critique de son témoignage. Les pages suggestives de M. Chamard sur les trois textes de la Vie de Ronsard, et deux autres observations du consciencieux historien de Du Bellay présentées en 1900[3] achevèrent de me convaincre de la nécessité de cette critique.

Telle est l’origine de la présente édition. Elle était décidée quand je publiai de 1901 à 1905 mes articles d’une part sur la Jeunesse de Ronsard, d’autre part sur la Chronologie et les Variantes de ses poésies, où le témoignage de son biographe est souvent complété ou contredit, parfois même récusé[4]. Qu’on me permette de rappeler seulement ce que j’écrivais en 1902 dans mon étude sur la Cassandre de Ronsard : « J’ai de

  1. Rev. d’Hist. littér. de janvier 1899, pp. 44 et suiv.

    En réalité, la première rédaction de Binet parut trois mois environ après la mort de Ronsard, et la deuxième rédaction un an après cette mort. V. ci-après, pp. xxii à xxiv.

  2. Cf. la Vie de Charles IX par Arnaud Sorbin (1574), les Vies des plus anciens et celebres poëtes provençaux, par Jean de Nostredame (1575), les Elogia de Papire Masson (celui de Dorat, 1588), et les Gallorum doctrina illustrium elogia, par Sc. de Sainte-Marthe (1598-1606).
  3. Joachim du Bellay, p. 37. Cf. p. 498.
  4. Rev. de la Renaiss, 1901 et 1902 ; Rev. d’Hist. litt., 1902 à 1905 ; Rev. Universit., 15 févr. 1903 ; Bull. de la Fac. Lett. de Poitiers, juin 1903 ; Annales Fléchoises, 1903 et 1904 : Rev. des Etudes Rabelaisiennes, fin de 1903 ; Rev. de la Renaiss., janv. 1904, supplément.