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ET CRITIQUE

à adopter trop complaisamment l’opinion purement légendaire qui veut que Ronsard soit issu d’une noble et ancienne famille de la Moravie, de la Hongrie ou de la Roumanie… C’est Ronsard lui-même qui a accrédité cette légende en la consignant dans ses vers, où il établit qu’il descend d’un seigneur nommé le marquis de Ronsard. Je n’accuse pas le poète d’avoir inventé cette légende ; il se peut qu’il l’ait trouvée établie et enracinée dans sa famille ; mais il y avait partout de ces légendes, et la critique moderne ne les accueille généralement qu’à bonnes enseignes, lesquelles manquent ici. » Après avoir rappelé les affirmations des premiers biographes de notre poète, il ajoute : « Mais où donc Ronsard, Duperron et Binet ont-ils pris tout cela ? M. de Rochambeau dit à la vérité qu’on voit ce Baudouin « figurer dans les actes de 1328 à 1340 » ; quels actes, où sont-ils et que disent-ils ? S’ils existent encore il aurait fallu les citer avec les indications précises exigées par la critique » (L. Froger dit en 1884 qu’il n’a retrouvé aucune trace de ces actes, Nouv. Recherches, p. 91). « La critique, ajoute Chabouillet, n’a-t-elle pas négligé jusqu’à présent de s’enquérir sérieusement de ce qu’il pourrait y avoir de fondé dans le roman versifié de Ronsard ? » et, après de judicieuses remarques sur les armoiries de sa famille, augmentées par Rochambeau d’une « Couronne de marquis » imaginaire : « J’espère que les amis de Ronsard me pardonneront de le croire plus poète que gentilhomme ; mais évidemment il s’est fait illusion sur l’antiquité de sa noblesse, et j’avoue que je ne crois pas du tout au marquis de Ronsard contemporain de Philippe de Valois. » (Notice sur une médaille inéd. de Rons., dans les Mém. de la Soc. arch. de l’Orléanais, tome XV ; tirage à part, pp. 14-19.)

À la fin du xixe siècle, les biographes de Ronsard, gagnés par le doute, ont gardé pour la plupart une sage réserve sur la question de ses origines hongroises. « Rien, dit l’un d’eux, ne paraît moins certain que cette glorieuse descendance » (M. Lanusse, Chefs-d’œuvre poét. de Marot, Ronsard, etc, p. 63). — Quant aux titres de noblesse de ses ascendants paternels, j’ai moi-même essayé de montrer qu’ils étaient loin d’avoir l’importance que le poète et Cl. Binet leur ont donnée (Rev. de la Renaiss., 1901, p. 99). Son père fut peut-être le premier chevalier de la famille ; son grand-père et ses arrière grands-pères étaient de simples écuyers. Lors du recensement de la noblesse authentique ordonné par Louis XIV vers 1667, les Ronsard furent exclus des listes provisoires ; c’est seulement après la protestation de l’un d’entre eux, et un procès, qu’ils furent réinscrits au nombre des « gentilshommes de la generalité d’Orléans » (cf. Froger, Nouv. Rech. sur la famille de Ronsard, dans la Rev. arch. du Maine, 1884, surtout le Tableau généalogique et les Pièces justificatives, pp. 224-240).

En 1902, G. Deschamps disait avec raison au sujet de la page du poète transposée par Binet : « Dans ces vers à panache, qui font songer à Don César de Bazan, Ronsard, tombant dans un travers auquel V. Hugo n’a pas échappé, s’attribue gratuitement une ascendance fantaisiste ; ainsi le grand poète romantique, issu d’une famille d’honnêtes artisans, donnait pour ancêtre à sa lignée un capitaine des