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lesquelles j’ai fait les mêmes expériences. Chez Armande, les images fictives sont nombreuses ; j’en compte 23, elles sont presque aussi nombreuses, par conséquent, que les noms d’objets présents. Elles ont apparu dès la seconde expérience, et se sont montrées tantôt rares, tantôt abondantes, avec beaucoup d’irrégularité ; elles ont disparu dès la 11e expérience ; et jusqu’à la 15e, je n’en ai plus noté une seule.

Malgré l’incertitude que présente la distinction entre les images abstraites et les images fictives, je suis bien persuadé que comme développement des images fictives il y a une très grande différence entre les deux sœurs. Il peut paraître assez inattendu de rencontrer chez une même personne à la fois de l’abstraction et de l’imagination. Cela déroute ; car, d’après les notions qu’on a généralement admises en psychologie, il y a comme une antithèse entre l’esprit d’imagination et l’esprit d’abstraction. Ribot, dans son livre sur les Idées générales, a longuement développé cette idée ; les imaginatifs, ce sont les artistes, les femmes, les enfants, tous individus doués d’une riche vision intérieure, chez lesquels la forme des personnes, des monuments, des paysages, surgit nette, bien délimitée. Au contraire, chez les abstracteurs, théoriciens, savants, la tendance est toujours vers l’unité, les lois, les généralités. Bien qu’on fût sans doute quelque peu embarrassé de dire sur quels documents expérimentaux et sérieux repose l’antithèse qu’on établit d’ordinaire entre l’imaginatif et l’abstracteur, je crois cette antithèse trop vraisemblable pour la mettre en doute à la légère ; et je pense qu’il est nécessaire de faire ici une distinction entre deux genres d’abstractions. Quand je remarque qu’Armande, une fillette de 13 ans, a une tendance très nette à l’idéation abstraite, j’entends par là tout simplement que ses images sont pauvres en détails particuliers et précis, et ne se particularisent pas, mais ce n’est pas à dire que cette enfant ait le goût de la spéculation abstraite, qu’elle