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naturel, même en supposant les deux jeunes filles douées de mémoire égale, que la copie de la première se rapprochât plus du modèle que celle de la seconde. Toutes les fois que les conditions précises d’un phénomène ne sont pas données — comme c’est ici le cas — ce n’est plus de l’expérimentation, ce n’est que de l’observation. Mais l’observation a bien son prix. Voilà deux enfants qui certainement font de leur mieux pour satisfaire un professeur dont elles redoutent la sévérité. Quel que soit le temps qu’elles mettent à leur travail, ce temps leur paraît suffisant, et elles sont satisfaites du résultat qu’elles obtiennent ; elles sont satisfaites, l’une de donner le sens général du morceau en laissant tomber beaucoup de détails précis, l’autre de s’astreindre autant que possible à ce détail précis. Ce n’est qu’une observation, soit, mais elle a une valeur suggestive des plus nettes, et depuis que mon attention se porte sur ce point, je retrouve cette différence de type intellectuel non seulement dans beaucoup de rédactions écrites, mais aussi dans les leçons orales d’histoire et de géographie. Marguerite, très souvent, s’arrange pour savoir presque par cœur une leçon de géographie dont on ne lui demande cependant que de retenir le sens. Armande n’emploie jamais la mémoire littérale, quand elle n’y est pas expressément forcée.

Le lecteur ne manquera pas de remarquer qu’il y a quelque analogie entre cette orientation de l’attention dans la mémoire et l’orientation de l’attention des deux mêmes sujets pendant une description. Nous avons vu que Marguerite, en décrivant, s’attache aussi à la lettre, c’est-à-dire au caractère matériel de l’objet, tandis qu’Armande décrit plutôt sa signification et les idées qu’il évoque. Enfin, ce qui donne pleine valeur aux observations précédentes, c’est qu’elles se trouvent tout à fait d’accord avec des expériences méthodiques rappelées plus haut.