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Je sais que ces différences mentales existent. Il y a des personnes de ma connaissance qui sont presque insensibles au monde extérieur, tandis que d’autres ont conscience des plus petits détails, même les plus inutiles, comme la forme d’une marche, la saillie d’un bàtiment, l’éraflure d’une écorce d’arbres. J’ai fait à ce propos sur les deux fillettes quelques expériences.

1re  expérience. — Un souvenir de la veille. — La veille du jour où je fais l’expérience, j’ai pris avec les deux fillettes le train de Paris à Meudon, vers 5 heures du soir ; le trajet dure 20 minutes ; nous étions montés en wagon dix minutes avant le départ ; notre séjour total dans le wagon a donc été de 30 minutes ; pendant ce temps, des voyageurs sont montés et descendus, et il s’est produit quelques-uns de ces détails insignifiants de tous les voyages. Je prends à part Marguerite, puis Armande, et je leur demande d’écrire tout ce qu’elles peuvent se rappeler de leur voyage.

La copie d’Armande a 4 pages, elle a été écrite en 30 minutes, la copie de Marguerite a 7 pages, elle a été écrite en 50 minutes ; elle est écrite plus serré, d’une écriture droite, tandis que l’écriture d’Armande est inclinée. Cette première différence, la différence d’abondance, nous l’avons déjà rencontrée bien souvent ; mais elle est beaucoup moins importante que la différence du contenu. Je regrette de ne pas pouvoir reproduire complètement les deux copies, ce serait trop long, j’en donnerai seulement quelques extraits. Il y a dans ces récits deux choses, une action et le cadre dans lequel elle se produit. Dans la narration d’Armande, le cadre est absent, et comme sous-entendu. Le récit commence tout simplement par : « Nous montâmes en wagon, le compartiment était vide, » puis, il n’y a pas d’autres détails. Marguerite, au contraire, a cru nécessaire d’insister longuement sur ce cadre, elle indique d’abord la place que chacun de nous occupait dans le wagon ; puis elle parle du wagon lui-même.