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puis mieux le montrer que par une comparaison qui m’est fournie par le Dr  S…, un de mes amis, qui s’est soumis à la même expérience avec la conscience qu’il met en toutes choses, et aussi, il me l’a avoué, avec une crainte subconsciente d’écrire quelque réflexion qui le ferait mal juger. Voici ce qu’il a écrit :

2e Épreuve. Idéation spontanée.

J’ai enlevé mon lorgnon machinalement en fermant les yeux, mais bien que machinal c’est le 1er  acte qui m’a occupé l’esprit, je me suis demandé si ce fait n’allait pas être noté à titre de condition différente de l’expérience et si cela n’allait pas réellement influer. Je ne sais plus bien après ce qui s’est passé, j’ai cependant cherché à retenir, et même cela me gênait, semblait-il, en sorte que je me suis peut-être plus laissé aller que dans l’épreuve précédente. Je me rappelle bien, par exemple, que j’ai pensé à quelque chose, mais ce n’est qu’après que j’ai réfléchi que j’y pensais… Et je me suis fait alors cette réflexion, que penser une chose et penser qu’on la pensait étaient deux phénomènes différents… Peut-être ce que j’avais ainsi pensé était-il seulement qu’essayer de retenir me gênait ? Quoi qu’il en soit il m’a semblé à propos de la dualité des phénomènes de pensée et de réflexion sur une pensée, que j’invoquais autrefois en philosophie un argument de même nature contre la liberté et j’ai cherché, pour occuper le reste des 3 minutes qui me paraissaient longues, à le retrouver, mais je n’ai pu arriver à le formuler qu’à peu près : c’est que, pour vouloir quelque chose, il faudrait d’abord penser à vouloir cette chose, par conséquent vouloir penser, mais on ne peut vouloir penser quelque chose qu’on ne pense pas déjà. Je ne sais plus au juste comment m’a surpris la fin des 3 minutes, mais je n’en ai pas été fâché.

En comparant ce document aux impressions de nos deux fillettes, on voit de suite combien celles-ci sont étrangères à l’esprit d’analyse qui caractérise un adulte lettré, intelligent, et réfléchi.

Le second terme de comparaison, que je destine à montrer chez mes deux fillettes ce que les Américains appellent candor (quelque chose de la spontanéité naïve et loyale), m’est fourni par un enfant d’école primaire, le jeune G…, âgé de 12 ans. Cet enfant, dans toutes les expériences