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décrivant l’image mentale d’une prairie : dans ce champ, il n’y a pas de coquelicots, mais bien : je n’ai pas vu de coquelicots. En second lieu, et ce deuxième fait a une signification probablement plus précise que le premier, ils répondent très souvent : je ne sais pas. Ce je ne sais pas revient si fréquemment qu’il finit par paraître naturel ; il est cependant curieux, car il révèle une ignorance de la personne relativement à l’objet de sa pensée ; que signifie cette expression de doute ? Elle montre que le sujet prend l’attitude de perception. Une chose, en elle-même, n’est pas douteuse ; elle est comme ceci ou comme cela. Prenez un dessin, une esquisse, qu’y a-t-il de douteux dans les traits ? Ils sont ce qu’ils sont ; ils n’ont rien d’informe ; le doute est en nous, il est mental, il provient d’un équilibre entre des pensées contraires, ou d’un état particulier d’émotion[1]. Lorsque, par conséquent, le sujet refuse de répondre à une question capitale relativement à son image — par exemple ce chien qu’il visualise avait-il une tête ou non ? — le doute vient du spectateur, qui se rend mal compte de l’image et la perçoit mal. Celle-ci ne contenait pas d’éléments suffisants pour permettre une interprétation dans laquelle on aurait confiance. Si bien réellement, comme je l’ai montré, nous pouvons avoir des doutes sur tel ou tel détail contenu dans une de nos images, et si ces doutes viennent de ce que nous les interprétons, il s’ensuit très logiquement que de temps en temps nos interprétations peuvent être fausses : il est possible que nous

  1. Dans un curieux passage de sa psychologie, Rabier déclare impossibles des formes d’idéation que nous venons de décrire. « Tout ce qui est, dit-il, est déterminé, dans la pensée non moins que dans la nature. L’indéterminé, suivant une parole célèbre de Hegel, est égal au néant, dans la pensée comme dans la nature » (Psychologie, p. 308.) — Et, en note, le même auteur ajoute : « Il importe de distinguer l’indéterminé de l’inachevé. Un dessin ébauché est indéterminé par rapport au dessin achevé ; mais pris en soi et hors de toute comparaison, il est aussi déterminé que le dessin achevé lui-même. Car il n’y a en lui rien de vague, rien d’uniforme, puisque, aussi bien que le dessin achevé, il est fait de traits absolument arrêtés et précis. — Ainsi de toutes choses. »