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Nounlegos

« Alors, répondit Max Semper, ma conviction s’assoit ; n’avez-vous pas les éléments suffisants pour faire arrêter Charfland ? Vous savez que si l’homme est bien ce que nous croyons, il filera un jour entre vos mains. Si vous le tenez au contraire, peut-être pourrez-vous arriver à réunir quelques preuves qui le confondront.

— Monsieur Semper, si Charfland était de nationalité française, il serait déjà sous les verrous, mais il se réclame de la grande nation des États-Unis ! L’homme est énergique, il saura joindre à sa voix celle d’un avocat d’élite et notre chancellerie n’accepterait pas une affaire diplomatique, alors que l’arrestation ne serait basée que sur ce que, juridiquement, nous pouvons appeler des commencements de présomption. »

Ce fut au célèbre détective de réfléchir, puis prenant son parti :

« Si Charfland est ce que nous supposons, c’est un intérêt commun à nos pays de le mettre hors d’état de nuire. Ce que j’ai vu me permet, je crois, d’aplanir à l’avance toute difficulté diplomatique. Je vais de suite à l’ambassade ; dans une heure, je serai de retour. »

Le délai indiqué expirait à peine, que Max Semper se présentait de nouveau dans le cabinet de M. de Landré :

« Monsieur le juge, dit-il, c’est chose convenue ; l’ambassade américaine ne vous créera aucune difficulté ; vous savez qu’elle aspire autant que vous à la punition de l’assassin de la famille A.-H. Terrick. Vous nous chargerez, par la voie habituelle, d’une commission rogatoire ; tant que celle-ci n’aboutira pas, vous pourrez garder notre individu sous les verrous, et je vous promets qu’elle n’aboutira que lorsque votre instruction sera close. Je vais faire tout mon possible là-bas, ma renommée y est intéressée, mais n’espérez pas que je puisse trouver quelque chose capable de vous aider ; mon aide véritable c’est, en retardant l’envoi du résultat de la commission rogatoire, de vous donner du temps. Bonne chance donc et au revoir ! »

Le soir même, Max Semper et ses aides repartaient pour l’Amérique et une édition spéciale des journaux annonçait que M. Charfland, se prétendant citoyen américain, avait été arrêté sous l’inculpation de meurtre sur les personnes de M. A.-H. Terrick, sa femme, leurs deux enfants, et leur gouvernante.

Il y avait déjà six mois de cela et l’instruction n’avait pas fait un pas.

Il avait été absolument impossible de faire dire à Charfland autre chose que ce qu’il avait dit dans ses interrogatoires de témoin ; il avait été absolument impossible de faire parler autrement Thérèse Vila endormie, qui témoignait toujours de la même répulsion pour le principal accusé.

Plusieurs fois déjà, le procureur général avait fait appeler M. de Landré pour lui dire qu’il était temps d’aboutir ; l’opinion publique, travaillée par l’intelligent et actif défenseur qu’avait choisi Charfland, commençait à s’énerver ; des choses désagréables sur la lenteur et l’impuissance de la justice paraissaient de plus en plus fréquemment dans les principaux journaux ; l’affaire menaçait de tourner au scandale et l’on annonçait, pour la rentrée des Chambres, plusieurs interpellations au Garde des sceaux.

L’ambassade américaine et Max Semper avaient correctement tenu leur promesse ; aucune action diplomatique n’avait été entamée à propos l’incarcération de l’Américain Charfland, et la commission rogatoire envoyée en Amérique n’avait pas