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Lectures pour Tous

fland dans les endroits publics qu’il fréquentait et à des photographies faites à l’insu de l’intéressé.

Un résumé de l’instruction était joint.

Un matin, M. de Landré trouvait dans son courrier une lettre du ministère des Affaires étrangères ; il l’ouvrait de suite et, stupéfait, lisait ceci : « En réponse à votre demande de renseignements au sujet de l’affaire n° (suivant l’habitude diplomatique qui classait ces affaires d’ordre criminel par numéros pour n’avoir pas à faire figurer des noms dans les pièces officiellement échangées entre les chancelleries), nous avons l’honneur de vous informer que la réponse vous sera faite verbalement par un fonctionnaire américain spécialement envoyé de New-York à cet effet. »

Il n’avait pas eu le temps de penser à tirer des déductions de ce fait que l’huissier lui remettait un pli en disant : « Le porteur est ici… c’est un homme très bien. »

L’enveloppe contenait une carte sur laquelle se détachaient, en caractères de machine à écrire, les mots : « L’homme qui vient de New-York. »

« Faites entrer, » ordonna le juge spontanément.

La porte ouverte, l’huissier laissa passer un beau vieillard à barbe blanche, se tenant droit, vêtu à la dernière mode parisienne.

Il s’inclina devant le juge, en demandant : « Vous êtes bien M. de Landré, juge d’instruction chargé de l’affaire Charfland ? »

L’interpellé répondit d’une inclinaison de tête affirmative.

« Alors, monsieur le juge, auriez-vous l’obligeance de prévenir que, sous aucun prétexte, l’on ne nous dérange tant que durera notre entretien ? Je ne tiens pas à être reconnu. »

Le juge sonna, fit la recommandation à l’huissier, et, désignant un siège à l’inconnu, prononça :

« Je vous écoute, monsieur. »

L’homme qui vient de New-York prend place ; puis se débarrassant prestement de sa barbe, de ses moustaches, de sa perruque blanche, il montre à son interlocuteur étonné une face complètement rasée surmontée d’une chevelure noire ; de son regard intelligent il fixe le juge en disant : « C’est à visage découvert que je dois vous causer. »

Se levant et s’inclinant, il se présente :

« Max Semper, de la Sûreté de New-York », puis, sortant d’un portefeuille quelques papiers, il les présente à M. de Landré.

« Voici les pièces qui m’accréditent près de vous. »

L’examen de celles-ci est rapide ; aucun doute n’est permis ; l’homme qui est là est bien le célèbre détective Max Semper, chargé officiellement de porter à la justice française la réponse à sa demande concernant la mystérieuse affaire.

M. de Landré tend la main à son visiteur : « Enchanté de faire votre connaissance, monsieur Max Semper, et merci d’avance de votre haut concours. »

La conversation entra de suite au vif du sujet ; elle ne fut guère d’ailleurs qu’un monologue du citoyen de la libre Amérique :

« L’examen et le rapprochement des faits suivants : 1o la famille A.-H. Terrick est la victime ; 2o dix millions ont été soustraits aux assassinés ; 3o le crime est entouré d’un mystère profond, permettent de penser que le crime a pu — je ne dis pas « a dû » — être perpétré par la fameuse « Bande invisible » dont vous avez certainement entendu parler, quoique ses exploits se soient bornés jusqu’ici à l’État de New-York.

« Cette bande ne commet que des forfaits qui rapportent gros, comme les dix millions précités touchés par Jeo Helly.

« Elle n’accomplit ses crimes que dans des conditions extraordinairement mystérieuses, tellement même, que, malgré les plus fins limiers officiels et privés des États-Unis, la bande n’a pu encore être découverte.

« Enfin, ce n’est qu’à un hasard providentiel que A.-H. Terrick a échappé, il y a quelques mois, à un chantage qui était précisément de deux millions de dollars, soit dix millions de francs.

« Il serait trop long de vous expliquer ce hasard en détail. Qu’il vous suffise de savoir que nous avons pu, grâce à lui, et pour ainsi dire indépendamment de A.-H. Terrick, faire avorter la chose et mettre la main sur deux membres de la « Bande invisible ».

« Ces deux chenapans ont été absolument réfractaires à livrer leurs complices et l’organisation de leur association ; mais enfin, grâce au whisky, l’un d’eux a laissé échapper, en conversant avec ses gardiens, quelques petites indications qui peuvent être utiles ; il a laissé entendre que, l’affaire Terrick étant avortée, celui-ci était condamné.

« Dans plusieurs crimes, on a trouvé trace d’un bandit dont le signalement, quoique vague, correspond cependant à celui que vous nous avez fait de Charfland.

« Dans ces conditions, je ne puis qu’essayer de découvrir si Charfland fait partie de cette « Bande invisible » ; suivant les résultats de cette première enquête, je verrai si je puis aller plus loin.