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Lectures pour Tous

sière absorbée dans sa conversation avec la préposée.

« Cela va bien, murmure-t-il, Jeo Helly a prévu toutes les difficultés. Un changement peut faire suivre une trace, deux sont tout à fait déroutants ! »

Il se rend dans un magasin près de la Bourse où il achète une grande serviette à deux poches, dont il vérifie les dimensions avec un mètre que lui prête la vendeuse.

Quelques instants après, il entre dans le hall des établissements financiers de l’Universel Crédit et s’engage dans le bel escalier qui mène aux luxueux salons du service des étrangers.

Il se dirige vers l’un des huissiers et, avec un fort accent américain :

« Veuillez annoncer M. Jeo Helly à votre chef de service. »

L’huissier lui tend un bloc et un crayon mais, comme s’il ne s’apercevait pas de ce geste, Charfland épèle lentement J-e-o-H-e-l-l-y à l’homme qui, de bonne grâce, fixe ces lettres sur le bloc.

« Comme motif de la visite ? demande le garçon.

— Votre chef de service doit être au courant, je viens à propos d’un chèque. »

Quelques instants après, l’huissier revient, l’air un peu ébahi ; il s’incline profondément devant Jeo Helly qui s’est négligemment assis sur un canapé, en lui disant :

« Si Monsieur veut me faire l’honneur de me suivre, Monsieur le directeur général, qui est précisément chez le chef du service des étrangers, se fera un plaisir de le recevoir. »

Quelques instants après, tout le groupe était dans le bureau de ce chef.

« Monsieur Jeo Helly ?

— Moi-même, monsieur !

— Vous venez pour un chèque…

— … de dix millions de francs signé A. H. Terrick ; vous devez être prévenu, voici le chèque, » et le bénéficiaire tendait le précieux papier en question.

Le chef de service l’examina, puis le passa à deux employés appelés spécialement lors de l’annonce de l’important visiteur ; vu la somme élevée, il fallait en effet ne pas procéder à la légère ; la concordance du chèque et des indications de la lettre du tireur fut soigneusement vérifiée, ainsi que la signature de M. A. H. Terrick.

« Voulez-vous l’acquitter tout de suite ?

— Parfaitement ; il a d’ailleurs été convenu avec M. A. H. Terrick — car vous pensez bien que l’on ne prend jamais assez de précautions — que je signerais l’acquit devant vous. »

En disant ces mots, Charfland mettait sa main droite dans la poche de son veston et la retirait aussitôt ; il prenait la plume et, sous la formule d’acquit mise au dos du chèque au moyen d’un tampon, appliquait la fameuse signature Jeo Helly sous les yeux du personnel de la Banque.

Pendant la nouvelle vérification, l’assassin se débarrassait prestement de l’outil encombrant dont il avait muni la paume de sa main.

« C’est très bien, monsieur ; les dix millions de francs sont à votre disposition ; désirez-vous en espèces une partie de cette somme ? J’espère que vous nous ferez l’honneur de nous permettre de vous ouvrir un compte ; les conditions de la maison sont avantageuses, en particulier…

— Non, je regrette, messieurs, mais, pour le moment, tout au moins, il ne s’agit pas de cela ; j’ai des ordres précis de M. Terrick qui m’honore de sa confiance et de son amitié et je dois aujourd’hui même procéder à une répartition en espèces de ces dix millions ; si donc vous voulez bien me remettre cette somme, en billets de mille francs, pour qu’elle soit portative, j’ai ce qu’il faut pour la porter. Voyez.

Et il montrait son grand maroquin.

Le directeur et le chef de service eurent un haut le corps, mais ils pensèrent rapidement que devant un client, comme pourrait l’être un jour cet homme, il ne fallait pas laisser penser, un seul instant, que l’Universel Crédit éprouvait l’ombre d’une gêne à payer, à vue, une somme aussi forte.

« C’est bien, monsieur vous aurez satisfaction, » et par téléphone des instructions furent données.

Quelques minutes après, deux caissiers apparurent et, sur le grand bureau, disposèrent les piles de billets.

« Voici, monsieur, cent liasses contenant chacune cent billets de mille francs ! »

Sur ce, le soi-disant Jeo Helly se lève, compte les liasses, en prend quelques-unes au hasard et vérifie le nombre des paquets. Il va même jusqu’à en ouvrir quelques-uns pour vérifier le contenu.

Sans hâte, il range les liasses dans sa serviette, en faisant six piles de chaque côté ; en fermant le rabat de l’une des deux poches, il éprouve quelques difficultés pour faire entrer l’une des courroies dans son coulisseau.

Il plie la serviette qui présente alors comme dimensions 0 m. 45 de longueur sur 0 m. 33 de largeur et 0 m. 20 d’épaisseur, prend ce gros colis sous le bras, salue et se dirige vers la porte.