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Lectures pour Tous

l’adresse de l’Universel Crédit (Service des Étrangers).

« Collez un timbre ; ne cachetez pas.

« Sur le recto de l’enveloppe, mettez en grosses lettres : « Urgent ».

« Tout est bien ainsi ; mais vous ne pouvez supposer que je vais vous rendre la liberté tout de suite : non, je vais vous endormir une fois encore ; quand vous vous réveillerez tous, j’aurai les dix millions et vous pourrez me faire rechercher. »

En achevant ces mots, Charfland lança quelques gouttes du contenu de son vaporisateur au visage de Terrick, dont la tête retomba brusquement sur le dossier du fauteuil.

Le misérable sortit de sa poche la petite boîte qu’il avait prise en partant ; elle contenait une petite seringue Pravaz et un petit flacon ; tout en préparant ces objets pour sa sinistre besogne, il se parla à lui-même :

« A-t-il été bête tout de même… comme si je pouvais laisser un seul témoin de ce qui vient de se passer ; même ceux-là — et il regardait les enfants — ne doivent pouvoir jamais rien dire.

« Oh ! vous ne souffrirez pas ; c’est un poison miraculeux, encore inconnu de vos médecins légistes ; une goutte suffit ; le contenu de la seringue pourrait servir pour plusieurs familles ; vous passerez sans un mot du sommeil à la mort ; pas de cris, pas de lutte, pas de sang. »

Et le sinistre bandit, ses préparatifs prêts, pique légèrement le bras de chacune des cinq personnes présentes, de la pointe aiguë de la seringue, et appuie légèrement sur le piston.

« C’est fait ! » Et ramassant soigneusement tous les objets dont il s’est servi, y compris tous les tampons et les liens, il ajoute « Voilà vraiment du beau travail. »

D’un coup d’œil, il embrasse la scène, aperçoit le nécessaire à écrire et va le reporter dans le petit salon.

À ce moment, le juge d’instruction, qui suivait attentivement les jeux de physionomie du vrai Charfland, crut — à la lividité du visage de celui-ci — qu’il était prêt à l’aveu, et brusquement l’interpella :

« C’est bien comme cela que vous avez agi, Charfland ? »

Le misérable tressaillit sans pouvoir trouver une parole.

L’avocat, qui ne comprenait rien à ce mutisme, lui cria : « Mais, défendez-vous donc ! » Et sous l’effet de cette phrase qui lui redonnait courage, l’inculpé répondit, mais sans son beau calme habituel : « Je ne comprends rien à ce qui se passe ici ; mon émotion est bien compréhensible, alors que l’on veut me faire passer pour l’auteur du crime effroyable que vous venez de simuler.

— Vous niez ? demande M. de Landré. C’est votre affaire. Il ne nous reste qu’à continuer. »

Charfland éteint la lumière, sort et laisse la porte entr’ouverte ; dans sa chambre, il pose ses divers instruments sur une table, sort de sa trousse un autre petit vaporisateur, revient au salon, répand un nuage ; il pousse la précaution jusqu’à inspecter ses propres vêtements et ses mains. Il vérifie que les clefs des trois portes donnant dans le salon sont bien à l’extérieur.

Il sort enfin, pour la dernière fois ; il retourne à la penderie et remet en place le fil des sonneries aboutissant aux piles.

Il est bientôt chez lui, pousse par précaution le verrou de sa chambre et procède, avec soin, à la confection d’un petit paquet dans lequel il rassemble tous les outils et ingrédients divers dont il vient de se servir.

Il s’assoit et contemple, radieux, le chèque et la lettre signés A. H. Terrick ; il approche une plume et de l’encre, plonge la main dans la poche droite de son veston ; cette main s’agite comme si elle cherchait quelque chose ; il la retire et contemple le dessus « Cela ne se voit pas du tout », puis il tourne la main et regarde la paume ; celle-ci retient un petit appareil bizarre qui, en fils d’acier peints couleur de la peau, est à peine visible ; ces fils semblent maintenir plusieurs phalanges des doigts.

« Encore une de mes inventions ! Bien malin l’expert graphologue qui pourra trouver un seul point commun entre mon écriture normale et celle à laquelle m’oblige le petit joujou qui contrarie tous les réflexes habituels de la main et des doigts ! »

Il prend la plume et sur la seconde feuille de la lettre Terrick signe, en caractères assez gros « Jeo Helly ».

La lettre est cachetée.

À ce moment, le juge prend la parole pour indiquer que sur ces entrefaites Charfland est allé mettre la lettre à la poste, au bureau le plus proche.

Puis le misérable est revenu dans sa chambre ; on l’entend murmurer :

« Préparons-nous pour demain.

D’un compartiment à serrure secrète que contient l’une de ses valises, il sort un chapeau melon et un complet veston de la même étoffe foncée que celui qu’il porte sur lui, et place dans des poches intérieures son déformateur manuel d’un côté, son