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Nounlegos

Au moment où le monologueur prononçait les mots « Bande invisible » le vrai Charfland a blêmi, malgré l’attention dont il se sentait l’objet de la part des témoins de cette scène. Il a fait cette courte réflexion « Il me semble avoir vu quelque part à New-York l’homme qui est près du juge », puis il a repris son sang-froid habituel.

Et la scène continue.

Charfland sonne ; Thérèse Vila (un sosie) frappe à la porte, entre et s’arrête, intimidée par le regard perçant que lui lance le client ; l’examen dure quelques instants pendant lesquels la pauvre fille semble perdre contenance : un frisson nerveux la parcourt. « Veuillez m’apporter mon thé, » prononce enfin Charfland.

« Oui, monsieur ! » balbutie la bonne.

Celle-ci partie, le voyageur se remet à monologuer :

« Si je ne me trompe, cette femme doit être un excellent sujet ; ce serait vraiment de la chance, il faut que je sache tout de suite à quoi m’en tenir. »

La servante rentre, porteuse d’un plateau qu’elle dispose sur la petite table ; elle n’ose lever les yeux, tant semble la gêner le regard qu’elle sent peser sur elle ; sa besogne terminée, elle lève la tête ; Charfland se dresse de sa chaise ; son regard fixe exprime une volonté tendue à l’excès ; Thérèse Vila semble vaciller ; l’homme fait rapidement quelques passes magnétiques, puis il approche une chaise et la femme hypnotisée s’assied.

« Elle est bien endormie, murmure l’opérateur ; c’est un sujet remarquable ; ce n’est qu’un jeu pour moi de le pétrir à ma guise, mais il faut procéder par étapes.

« Thérèse, ajoute-t-il d’une voix basse, sur un ton autoritaire, je vous défends, entendez-vous, je vous défends de répéter jamais ce que je vous commanderai de dire et de faire. Dites-moi que vous obéirez à cet ordre.

— Oui, murmure l’endormie, en tressaillant.

— Maintenant, vous viendrez cette nuit me dire ceci « J’obéirai à votre volonté, jamais je ne parlerai de vos ordres. »

Le magnétiseur fait ensuite quelques passes ; la pauvre névrosée se réveille et Charfland, d’une voix douce cette fois : « Vous avez eu une faiblesse, mon enfant, il ne faut trop vous fatiguer.

Et la domestique s’en va, accompagnant sa sortie d’un faible « Oh ! ce n’est rien, monsieur ! »

La présence de… l’actrice, maquillée en Thérèse Vila, avait peu ému l’inculpé. « On sera arrivé à faire parler cette misérable, se dit-il ; ma défense est facile : le récit d’une visionnaire, sujette à plusieurs influences, comme cela semble être le cas, ne constitue pas une preuve ; je n’aurai qu’à nier, mon avocat fera le reste, ce sera même un beau sujet de plaidoirie, en admettant que l’on m’entraîne jusqu’aux Assises. »

L’avocat, agacé par ce spectacle dont il ne peut prévoir l’aboutissement, pose encore une fois sa question, en s’adressant au procureur général « Mais enfin, que signifie cette comédie ? »

Le procureur répond simplement : « Monsieur le juge mène son instruction comme il l’entend, vous n’avez rien à dire pour l’instant puisque, dûment convoqué, vous êtes présent ; après, vous pourrez déposer toutes les conclusions que vous voudrez ! »

Il n’y a rien à répondre.

M. de Landré prend alors la parole et déclare : « Maintenant, nous sommes au soir du crime.

Sur un signe, l’électricité est allumée et les tentures sont baissées.

Charfland se remet à monologuer :

« La première épreuve que j’ai imposée à Thérèse a parfaitement réussi, celles qui ont suivi également ; cette fille est en mon pouvoir, je puis compter sur elle. Elle vient de me dire que sa maîtresse, partant de bonne heure demain matin, sera absente toute la journée ; le moment est venu d’agir. Préparons d’abord à son rôle cette innocente complice. »

Il sonne, Thérèse se présente ; un seul regard, un seul mot : « Dors ! » et le sujet, remarquable en effet, s’affale sur une chaise, en proie au sommeil magnétique.

De sa voix sourde de commandement, le voyageur lui donne les ordres suivants :

« Tu dormiras toute la nuit.

« Demain, tu n’entreras pas dans les appartements des Terrick avant que ta maîtresse ne soit partie.

« À la première heure, tu fermeras à clef les portes du grand salon, sans entrer dans la pièce ; tu garderas les clefs.

« Tu diras aux femmes de ménage de ne pas entrer dans ce salon où est réunie la famille Terrick.

« Au retour de ta maîtresse, tu lui diras que la famille Terrick, indisposée, n’a pas quitté le salon de toute la journée.

« Au milieu de la nuit suivante, tu remettras les clefs aux portes du salon, tu feras jouer les serrures et tu iras te recoucher. »

À trois reprises différentes, il répète ces ordres, s’assurant après chacun d’eux que le sujet a compris et obéira.

Aussitôt Thérèse est réveillée et s’éloigne.