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Lectures pour Tous

d’un phonocinématographe qui tournera les principales scènes ; comme cela, rien ne nous échappera des divers mouvements et exclamations que provoqueront chez l’accusé la mise en scène de demain.

« Ce sera très intéressant, vous verrez.

« Mais enfin, ce n’est pas pour cela que je me suis permis de vous câbler de venir. Après les aveux, dans la dépression profonde où se trouvera notre homme, je crois que l’on pourra en tirer quelque chose au sujet de la fameuse « Bande invisible » dont vous le soupçonnez de faire partie. Ce sera alors votre affaire ; si le résultat vous satisfait, je vous aurai assez remercié du grand service vous m’avez rendu en me permettant d’arrêter le coquin et de le maintenir en prison, sous prétexte d’attendre la fameuse commission rogatoire que je vous avais envoyée. »

Enchanté, Max Semper remercia M. de Landré et essaya, mais en vain, de savoir comment le juge avait enfin découvert la vérité : ils se quittèrent en se donnant rendez-vous pour le lendemain matin.

Voici le récit de cette fantastique journée :

À l’heure convenue, Charfland, encadré de deux solides inspecteurs de police, suivi de son avocat et des deux secrétaires de celui-ci, faisait son entrée dans l’appartement occupé par la pension de famille de Mme veuve Durand.

Dans l’antichambre, il n’y a qu’un inspecteur qui fait signe aux nouveaux arrivants d’entrer dans la première pièce à droite qui, on se le rappelle, était la chambre réservée jadis à Charfland.

L’inculpé entre sans gêne apparente, mais il a immédiatement un mouvement de tout le corps, et s’arrête stupéfait : il vient d’apercevoir, assis devant la petite table où il lisait d’habitude, faisant face à la porte, un homme qui lui ressemble en tous points, à lui Charfland ; c’est incontestablement son sosie. Le regard de l’inculpé se relève et il aperçoit, immobiles et silencieux, debout dans un coin, quelques hommes en redingote, parmi lesquels il reconnaît le juge d’instruction M. de Landré, son greffier et son secrétaire, accompagnés du procureur général et du détective Max Semper. Un cinématographe est installé dans un angle de la pièce.

Ces messieurs saluent les avocats.

« Quelle est cette comédie ? » interroge le défenseur principal en regardant le personnage camouflé en Charfland.

Sans attendre de réponse, Charfland, remis de son émotion, calme son avocat : « Mon cher maître, si ces messieurs veulent s’amuser de cette bouffonnerie, libre à eux : à quoi servirait de protester, sinon à créer des doutes dans leur esprit ?

— C’est bien, dit l’avocat.

— Alors, nous allons commencer, » annonce M. de Landré pendant que, discrètement, il appuie sur un bouton de sonnette dissimulé.

Pour la simplification du récit qui va suivre, nous désignerons maintenant par Charfland le policier maquillé qui allait jouer le principal rôle ; lorsque nous ferons allusion au véritable inculpé, nous le désignerons par ces mots : « le vrai Charfland ».

Charfland donc, la tête entre les deux mains, les coudes appuyés sur la table, pense tout haut :

« Monsieur Terrick, puisque nous voilà voisins, à nous deux ! Ah ! vous n’avez pas voulu vous conformer aux ordres de la « Bande invisible » ! Un peu plus vous la faisiez pincer. Vous croyez être libre de la taxe de deux millions de dollars que je vous avais imposée ; votre compte ici, aux établissements financiers de l’Universel Crédit, est pourtant bon pour cette somme !

« J’ai pu vous précéder de deux jours : avec mon chèque, cette dame Durand ne pouvait me refuser cette chambre et je suis maintenant avec vous le seul pensionnaire dans cet appartement. Cette dame Durand doit bien s’absenter de temps en temps… Il reste la bonne… Qu’en ferai-je ?

« Enfin, laissons passer quelques jours, j’arriverai bien à m’en servir ou à la mettre hors d’état de me gêner. C’est extraordinaire comme je me sens à l’aise… Oui, vraiment, c’est plus facile de tenter un coup absolument seul ; je suis à l’abri de la trahison ou de la maladresse des complices de la Bande… Ah ! mais, par exemple, celle-ci n’aura pas sa part entière des bénéfices puisque, seul et à son insu, je m’expose pour mener à bien cette affaire ! »



une chambre dans le même appartement meublé où vivait la famille Terrick ; malgré ses efforts l’instruction n'a pu aboutir, et il va relaxer Charfland, quand un savant, Nounlegos, qui a passé quarante années de sa vie à résoudre le problème de lire la pensée dans le cerveau humain, lui offre d’examiner le cerveau de Charfland au moyen d'un appareil bizarre. L’expérience est, d’après Nounlegos, concluante. Au moment où, d’après ses résultats, M. de Landré va triompher, on le menace de le dessaisir de l’affaire : il n’obtient qu’à grand’peine un répit de deux heures qui lui permet de retrouver les dix millions de francs en billets de banque qui ont été touchés par Jeo Helly. Le juge convoque alors l’accusé, son avocat et le procureur de la République à la reconstitution du crime.