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le vit même dans une grande maison cinématographique.

Pendant ce temps, l’inculpé et son avocat n’étaient nullement au courant des étranges démarches du juge ; quant à l’opinion publique, elle avait été calmée par une note de la chancellerie affirmant que, dans la huitaine, l’affaire Charfland serait définitivement solutionnée.

Six jours après le dépôt des dix millions, M. de Landré fit notifier à Charfland par un greffier, à son avocat par un secrétaire que, le lendemain, aurait lieu la « reconstitution du crime ».

Il téléphona la nouvelle au procureur général en lui laissant entendre que cette reconstitution ferait époque dans les annales criminelles ; le procureur, comme le pensait le juge, manifesta l’intention d’y assister.

« Rendez-vous à 8 heures du matin à la pension de famille, lui indiqua le juge, et, ajouta-t-il, cela durera certainement toute la journée ; le déjeuner est prévu, ne vous inquiétez pas. »

Charfland n’avait rien compris à la notification qui lui était faite ; il se perdait en conjectures, mais son sang-froid et son aplomb ne l’abandonnaient pas.

Il avait reçu la visite de son avocat abasourdi ; il lui raconta que la notification venait de lui arriver sans que rien la fit prévoir ; il ne pouvait s’agir que d’une farce ou d’une grossière intimidation ; quoi que cela pût être, il n’avait pas à se préoccuper, sa conscience intacte saurait déjouer le prétendu piège que l’on voulait lui tendre.

L’avocat s’était rendu ensuite chez le juge et lui avait manifesté sa surprise de cette décision inattendue, aucun fait nouveau n’ayant surgi à sa connaissance.

« Maître, lui avait répondu le juge, la manière dont le crime a été commis est connue, mais cette connaissance est venue à moi indépendamment de l’inculpé ; celui-ci a pu vous dire qu’aucun interrogatoire ne lui a été adressé en dehors de vous ; la reconstitution annoncée résumera toute l’instruction, la vérité éclatera ; je ne puis vous dire plus. »

Un peu en colère de ce qu’il venait d’entendre, le célèbre avocat le prit de très haut :

« Faites attention, monsieur le juge ; depuis six mois vous retenez, au mépris de toute justice, un innocent dans une geôle ; au moment où, sous la pression de l’opinion publique, vous alliez, ou relâcher mon client ou vous voir dessaisir de l’affaire — vous voyez que je suis bien informé — vous allez essayer de jouer une comédie d’intimidation qui ne peut aboutir, puisque vous n’avez pas mis la main sur le coupable.

« Prenez garde ! cette dernière façon d’agir va augmenter considérablement les charges morales qui pèsent sur vous ; on vous reproche déjà la faiblesse avec laquelle vous avez mené cette instruction ; l’opinion publique, quand elle sera mise au courant — et elle le sera, je vous le garantis — manifestera d’une façon telle qu’un plus fort que vous serait balayé. Prenez garde !

— Maître, demain à cette heure, vous aurez changé d’avis. La « reconstitution du crime » qui a coûté la vie à toute la famille Terrick se fera demain ; je vous confirme que le rendez-vous est à 8 heures à la maison de famille où a eu lieu l’assassinat ; je vous préviens que cette reconstitution prendra toute la journée ; le déjeuner est prévu ; si vous voulez nous faire honneur de le partager avec nous, vous serez le bienvenu. »

L’avocat éluda d’un geste cette courtoise invitation et répondit simplement :

« Je serai demain à 8 heures avec mes deux secrétaires à la pension de famille. »