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Lectures pour Tous

blanc, maintenant recouverte d’une multitude de signes plus étranges les uns que les autres.

Puis, sans attendre une question :

« Mais il faut que je vous traduise mon langage secret ; mieux vaut en finir tout de suite. Donnez-moi du papier et une plume, j’en ai pour quelque temps. »

Pendant près de trois heures, Nounlegos couvrit d’une écriture rapide pas mal de feuilles.

Quand il eut terminé, il commença à démonter ses appareils, lorsque M. de Landré l’interrompit :

« Ne m’avez-vous pas promis de me donner une preuve indiscutable, pour moi, de votre science ?

— Ah ! c’est vrai, j’oubliais ; asseyez-vous ici ; je vous coiffe de la caisse ; comme je suis fatigué de cette longue séance, j’espère que cinq minutes vous suffiront ; d’ailleurs, pour simplifier, je vous traduirai de suite à haute voix ce que je lirai dans votre cerveau ; je vous préviens que je ne sais pas lire les noms propres. »

Quelques instants après, Nounlegos, le front de nouveau contre son appareil, annonçait :

« Ma femme… attend… déjeuner… sait bien… affaire cinq victimes… donc pas inquiétude… je trouve très gentille ma femme… vingt ans ménage… toujours jeune… paraît grande sœur… nos enfants… étrange homme devine ma pensée… essayons penser autre chose… politique… souvent opposée… intérêts généraux… pays… recommandations mauvais sujets… rebutent bons… arriverai-je… poste supérieur… »

Haletant, M. de Landré jeta un cri « Assez ! » Et, débarrassé du coffre mystérieux : « Oui, oui, je vous crois : c’est vrai, vous avez lu tout ce que j’ai pensé ; mais qui êtes-vous donc pour disposer d’un pouvoir que l’humanité n’avait jamais osé entrevoir ? N’attentez-vous pas à Dieu ? »

Tout en démontant ses appareils et les rangeant soigneusement dans ses valises, le savant répondit :

« Je suis le simple Nounlegos, inconnu comme vous le savez ; mon labeur révolutionnera un jour le monde, car il imposera la sincérité.

« Mais je suis venu ici pour autre chose ; voici la confession du misérable Charfland ; vous y trouverez une foule d’indications qui vous permettront de le confondre.

« Maintenant, rappelez-vous nos conventions ; je considère votre parole d’honneur comme engagée : vous ne révélerez à personne ni notre première conversation, ni ce qui vient de se passer.

Le juge d’instruction renouvela sa promesse et reconduisit avec égards le petit vieillard qui partait, tout courbé sous le poids de ses diaboliques appareils.

QUARANTE ANS DE LABEUR

C’est dans une petite sous-préfecture de la France que naquit, sous un nom banal non venu jusqu’à nous, celui qui devait devenir plus tard Nounlegos.

Le nouveau-né n’était pas beau, il paraissait malingre et donna bien des craintes à ses parents, riches commerçants de leur petite ville ; ils l’entourèrent des soins les plus délicats, tremblant pour ce fils unique, d’autant plus aimé qu’il était tardivement venu.

Mais, si le physique laissait à désirer, l’intelligence, elle, se manifesta de bonne heure. Tout petit, portant sur sa jeune tête cet air de réflexion grave qui est, en général, l’apanage des enfants de parents âgés, il étonna vite son entourage par ses réparties, rares il est vrai, car il était de tempérament réservé, mais dénotant un esprit d’observation fort au-dessus de son âge.

Au collège, quoique d’abord peu assidu, il domina tout de suite tous ses camarades, de par ses facultés extraordinaires d’assimilation.

Plus tard, il prit du goût aux études et devint alors un sujet d’étonnement pour ses professeurs ; il put, sans fatigue intellectuelle apparente, suivre deux et même trois classes dans la même année scolaire ; comme il était impossible d’obtenir l’énorme dispense d’âge qui lui eût été nécessaire pour passer son premier baccalauréat aussitôt qu’il fut prêt, il en prépara d’autres et, avec la dispense légale, il passa trois baccalauréats dans la même session.

À ce moment, la perplexité des parents atteignit son maximum ; que ferait-on de ce jeune homme si prodigieux ? On ne pouvait poursuivre l’idée caressée jadis d’en faire le successeur de la maison de commerce, si fort que fût le rapport de celle-ci. Toutes les grandes Écoles devaient pouvoir s’ouvrir devant lui ; vu son physique, on ne pouvait penser en faire un militaire, et les parents songèrent qu’ils en feraient un brillant fonctionnaire, cet éternel rêve des petits bourgeois enrichis.

Lorsqu’on lui parla pour la première fois de ces projets d’avenir, il répondit nettement, en homme qui sait ce qu’il veut « Je ferai de la médecine. »

Les parents s’inclinèrent ; le fils unique