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Nounlegos

trois auteurs de cette scène mystérieuse.

Le juge regardait alternativement Nounlegos et Charfland, se demandant avec anxiété si celui qui se disait si savant était réellement capable de lire ce qu’il prétendait déchiffrable pour lui seul.

L’inculpé, d’abord sur le qui-vive, parut prendre vite parti de sa situation bizarre et, s’accoudant sans façon sur les bras du fauteuil, parut s’absorber dans ses réflexions.

Nounlegos, le cou tendu vers son appareil, restait immobile ; sa main gauche manœuvrant parfois quelques manettes, puis, tout à coup, sa main droite s’agitant, faisait tracer au stylet des petits signes bizarres et rapprochés, dans l’intervalle de papier blanc que laissaient visible les deux règles de métal ; sa main arrivée à l’extrémité de la feuille, un déclic faisait glisser les deux règles de quelques millimètres et il continuait à écrire les signes bizarres, en allant, cette fois, de droite à gauche. À l’extrémité de cette nouvelle ligne, un déclic analogue imprimait un nouveau déplacement aux règles, et sa main, docile, continuait à écrire, mais alors, dans le sens habituel, de gauche à droite.

Cette séance singulière se prolongea pendant près d’une heure…

Oui, pendant près d’une heure, M. de Landré, en proie à une exaltation cérébrale que rien ne décelait, fit errer ses regards de l’examinateur à l’examiné, se demandant si la science inconnue dont se prévalait le soi-disant savant établissait réellement un courant de forces inconnues entre les deux hommes, courant si extraordinaire que l’un lisait ce que pensait l’autre.

Oui, pendant près d’une heure, Charfland, résigné à ce qu’il ne considérait que comme une formalité ultime, supporta patiemment le casque épais, sans une seule plainte, sans vouloir profiter de la faculté que lui avait proposée le phrénologiste de demander quelque repos.

Oui, pendant près d’une heure, le front de Nounlegos resta rivé à la visière de son appareil. Sa main gauche ne manœuvrait que rarement les manettes à sa disposition, mais en revanche, sa main droite continuait, sans interruption, alternativement d’un sens et de l’autre, à tracer des sortes d’hiéroglyphes sur la grande feuille blanche ; seul le déclic des règles d’acier se déplaçant sur le cadre métallique de ce papier blanc, troublait le silence.

Enfin, la main droite de Nounlegos s’arrêta ; sa face présentant des yeux exorbités il quitta son poste d’observation, rejeta son buste en arrière, reposa sa tête lassée sur le dossier de son siège, resta quelques instants les yeux mi-clos comme pour ménager la transition entre le monde immatériel qu’il venait de parcourir et le monde réel auquel il revenait, puis se leva péniblement et murmura : « J’ai fini. » Il coupa alors le courant et délivra Charfland de l’espèce de carcan qu’il supportait depuis si longtemps.

L’inculpé, la tête ruisselant de sueur, s’épongea ; il ne put s’empêcher de dire : « J’ai soif. »

« Moi aussi, » ajouta inconsciemment Nounlegos.

À ces mots, le juge — impressionné à l’excès, plus par ce qu’il attendait que par ce qu’il avait vu — sans se rendre compte de l’étrangeté de sa décision, sonna et donna ordre d’apporter du porto avec trois verres. L’huissier, médusé, s’exécuta et remplit les trois verres qu’il avait apportés.

Les trois hommes, toujours silencieux, vidèrent rapidement leurs verres ; leurs réflexions, d’ordres bien différents, auraient pu les absorber longtemps encore, mais Charfland, l’air un peu goguenard, interpellant Nounlegos, lui dit :

« Eh bien, monsieur le savant, quelles sont vos conclusions ?

— Il me faut maintenant coordonner mes observations ; je remettrai le résultat à M. le juge » ; et en disant ces paroles, il regardait ce dernier d’un air qui signifiait clairement : « Il nous faut maintenant rester tous les deux. »

Le juge sonna : les gardes municipaux entrèrent et Charfland reprit le chemin de sa prison.

« Eh bien, monsieur Nounlegos ? » prononça M. de Landré, d’une voix qui n’avait peut-être pas toute la fermeté qu’il aurait désirée.

« Monsieur le juge, répondit gravement Nounlegos, l’homme qui vient de sortir est bien le coupable ; les preuves abondent là. » Et il désignait la grande feuille de papier



Vila et aussi un certain Charfland, citoyen américain, qui habitait chez Mme Durand, et contre lequel n’existe que de vagues présomptions. Malgré les efforts du juge, l’instruction n'avance pas et il va être obligé de signer un non-lieu, quand un inconnu, « Nounlegos », se présente à lui : grâce à une merveilleuse découverte qui lui permet de lire dans le cerveau humain, il se fait fort de savoir si Charfland est réellement coupable. M. de Landré accepte de tenter l’extraordinaire expérience que lui propose Nounlegos, et celui-ci coiffe l'inculpé de l’appareil qu’il a inventé : une boîte au merveilleux pouvoir.