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Lectures pour Tous

— C’est entendu. »

Et le petit vieillard, reprenant son chapeau posé sur le bureau du juge, se leva, inclina la tête et se retira pendant que M. de Landré, un peu médusé d’une décision aussi rapidement prise, restait songeur, se demandant, maintenant que la porte s’était refermée sur l’étrange Nounlegos, s’il ne venait pas de rêver ou s’il ne venait pas d’être joué par un habile mystificateur.

L’EXPÉRIENCE

Le lendemain, M. le juge d’instruction, un peu défait par une nuit passée sans sommeil, incapable de s’intéresser à quoi que ce soit de son courrier qu’il dépouillait machinalement, regardait fréquemment sa petite pendule de bureau.

À 9h. 45, son secrétaire vint lui annoncer que Charfland était là ; l’inculpé n’avait rien dit lorsque ce secrétaire lui avait signifié que le juge le faisait appeler ; il n’avait pas parlé de son défenseur.

À 10 heures, l’huissier, suivant les ordres reçus, ouvrit la porte pour introduire, sans l’annoncer, Nounlegos qui, chargé de deux grosses valises, paraissait encore plus courbé que la veille.

« Monsieur le juge, il me faut quelques minutes pour être prêt. »

Puis, avec une activité remarquable pour un homme paraissant si usé, il se mit à l’ouvrage, accompagnant ses gestes de diverses explications brèves.

Il débarrassa la moitié du bureau du juge :

« Pour mettre mes appareils. »

Il sortit de ses valises des ustensiles bizarres, les posa sur la table et les assembla soigneusement.

Il disposa un fauteuil le dos contre cette table :

« Pour Charfland. »

Un autre fauteuil placé de l’autre côté de la table :

« Pour moi. »

Il raccorda son appareil à une prise de courant :

« Pour la lecture.

À une autre prise de courant, il raccorda un autre appareil :

« Pour imposer l’immobilité si cela est nécessaire. »

Puis disposant un autre fauteuil :

« Pour vous, monsieur le juge. Comme cela, vous pourrez regarder l’inculpé ; celui-ci vous verra.

Si j’estime nécessaire que vous lui posiez des questions, je ferai le simple signe de lever la main ; vous poserez les questions qui, d’après vous, devront rappeler le mieux à Charfland les péripéties du drame, si drame il y a eu ; l’ordre de ces questions sera l’ordre chronologique des faits supposés.

« Si je ne lève pas la main, n’interrogez pas ; ne dites rien. »

Puis Nounlegos posa sur la table, près du siège qu’il s’était réservé, une grande feuille de papier tendue par un cadre lourd, muni de deux règles transversales, et posa dessus une sorte de stylet ; jetant un dernier coup d’œil sur l’ensemble, il dit à M. de Landré : « Je suis prêt » ; au moment où le juge allait appuyer sur une sonnette, il ajouta :

« Surtout, pas de témoin !

— Introduisez l’inculpé, » ordonna le juge à l’huissier.

Charfland faisait bientôt son entrée, encadré par deux gardes municipaux ; ces derniers congédiés d’un signe, le juge prit la parole :

« Charfland, mon instruction est à la veille d’être close ; mais, avant de signer l’ordre qui vous renverra devant la chambre des mises en accusation ou à la liberté, j’ai fait appel à un savant phrénologiste — le juge indiquait Nounlegos de la main — qui se fait fort, par l’examen d’un crâne, d’indiquer si le sujet a une tendance ou non au crime. Avez-vous une objection à présenter à cet examen ? »

À cette question, l’interpellé regarda le juge, puis Nounlegos, puis les appareils bizarres qui se trouvaient là ; après quelques instants de réflexion, les prévisions de M. de Landré se réalisèrent, et Charfland répondit tranquillement :

« Aucune.

— Alors opérons, » déclara Nounlegos prenant la parole, et indiquant à l’inculpé le siège préparé à son intention : « Veuillez prendre place ici. Bien. Je vais vous placer sur la tête cet appareil ; oh ! son poids n’est pas en rapport avec son volume, vous pourrez le supporter aisément.

Ce disant, Nounlegos coiffait le crâne de Charfland d’une sorte de caisse.