Page:Bigot - Nounlegos, 1919.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
501
Nounlegos

L’on comprend que M. de Landré fut embarrassé ; la proposition de Nounlegos lui paraissait tellement étrange, que son esprit se refusait à admettre sa véracité, mais d’un autre côté, il était disposé à s’accrocher à tout espoir, même chimérique, susceptible de l’aider dans la ténébreuse affaire.

« En quoi consiste l’expérience ? demanda-t-il.

— Je coiffe le sujet d’un appareil spécial ; j’examine le cerveau et note les pensées qui le traversent ; cet appareil ne gêne en rien l’examiné.

— Où cela peut-il se faire ?

— Ici même si vous le désirez ; je n’ai besoin que d’un peu de courant électrique que je peux prendre à la douille de l’une des lampes de votre bureau. J’ajoute que si le patient ne veut pas se prêter à l’expérience, je puis, avec le courant pris à une autre douille, l’immobiliser sans douleurs, tout en laissant intacte l’activité cérébrale.

— Mais en admettant que je croie ce que vous m’annoncez, comment serez-vous sûr que Charfland pensera au crime ?

— Oh, le fait seul de sa présence ici, devant vous, obligera son esprit à penser à l’affaire. S’il s’orientait vers une autre direction, eh bien, il suffira que vous lui posiez quelques questions qui l’obligeront à y revenir ; vous devez savoir, mieux que moi, qu’un coupable qui plaide innocent, pour ne pas se trahir dans ses réponses, concentre toute son attention sur son crime, se remémore ce qu’il doit dire, ce qu’il doit cacher.

— Mais, qui me prouvera que ce que vous me direz aura bien traversé l’esprit de l’inculpé ?

— Je ne puis évidemment vous obliger d’avance à avoir foi dans ma méthode, mais je pourrai vous soumettre à l’épreuve ; vous verrez bien si j’ai su lire dans votre pensée.

— En effet, » murmura le juge prodigieusement intéressé ; puis une objection lui venant à l’esprit :

« Mais, même avec cette preuve, votre méthode, non reconnue officiellement, ne peut servir de base à une action de la justice ; votre « lecture » ne sera pas une preuve juridique.

— Cela peut être vrai, répondit Nounlegos, mais ce sera à vous, juge d’instruction, une fois en possession de la pensée de l’inculpé, d’agir, au mieux de la justice, pour amener la preuve.

« Si Charfland est coupable, qui sait s’il ne pensera pas à l’instrument dont il s’est servi pour commettre son crime et à l’endroit où il s’en est débarrassé ; alors, vous pourrez le retrouver ; n’aurez-vous pas là un commencement de preuve ?

— C’est vrai, » ne put s’empêcher de dire M. de Landré, que l’assurance et la netteté de Nounlegos commençaient à convaincre.

« Mais, sursauta-t-il, cet examen doit être fait en présence de l’avocat ; si celui-ci refuse, votre science n’étant pas reconnue, la loi ne me permet pas de l’imposer.

— De mon côté, répondit Nounlegos, je n’entends pas avoir affaire à d’autres qu’à vous et à Charfland ; le moment n’est pas arrivé de donner à connaître mes découvertes ; vous seul saurez que moi, Nounlegos, vous ai donné un moyen, mais vos actions futures, inspirées par ma lecture, je n’y participerai en rien ; l’offre que je vous fais n’est valable que si vous vous engagez à ne jamais dévoiler ce dont vous serez témoin. Quant à Charfland, vous pourrez l’amener facilement à se prêter à l’expérience en dehors de son avocat ; d’ailleurs, jamais il ne pourra supposer la vérité, et si vous le convainquez de son crime, il restera éternellement dans l’ignorance de la méthode qui vous aura conduit au but. »

La question prenait, pour le juge, un aspect procédurier ; il réfléchit et, visiblement gagné à l’idée de l’essai qui s’imposait, il suggéra :

« Je pourrais dire à Charfland qu’avant de clore l’instruction, je veux le faire examiner par un phrénologiste célèbre ; je connais maintenant assez l’homme pour savoir que, persuadé de l’incompétence de cette science…

— Avec raison, articula nettement Nounlegos.

— … Et désireux de se prêter sans objection à toute investigation nouvelle lui paraissant sans danger, il acquiescera sans réclamer le concours de son avocat ; il sait d’ailleurs certainement la situation actuelle, et son défenseur lui a promis pour ces jours-ci un non-lieu définitif ; il pensera hâter le moment de sa libération en n’opposant aucune difficulté à l’examen. D’ailleurs, il réfléchira que si de cet examen il pouvait découler quelque chose de favorable contre lui, je n’en pourrais faire état, vu l’absence de son conseil.

— Je ne suis pas juge de ce moyen. »

Après un instant de silence, Nounlegos reprit :

« Concluons :

« 1o Vous vous engagez à ne révéler à personne ni la conversation que nous venons d’avoir, ni la scène à laquelle vous assisterez.

— Je m’engage, répondit M. de Landré.

2o Je serai ici, demain matin à 10 heures ; votre cabinet sera clos pendant toute la durée de l’expérience.