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laquelle la maladie moléculaire vient s’implanter dans les industries ennemies. Par les wagons, les ponts roulants qui les chargent ou déchargent, le choc vibratoire intéresse imperceptiblement les charpentes des grands halls orgueilleux ; le temps dévolu, elles s’effondrent avec fracas, contaminant les machines-outils, les pièces en construction, réduisant à néant l’outillage guerrier et économique si laborieusement élevé !

Mais ce n’est pas tout, bien des rails de tramways sont raccordés à ceux des chemins de fer. Par ceux-là le frisson funèbre atteint l’intérieur des villes.

Les rails des tramways, pour diminuer les effets d’électrolyse provoqués par le retour des courants, sont reliés aux grandes conduites de fonte qui distribuent l’eau et le gaz ; ces liaisons électriques, en câbles de cuivre avant la guerre, ont été remplacées par des pièces de fer doux, car l’Allemagne a eu besoin, pour ses munitions, de réaliser tout son stock de cuivre ; ces câbles sont donc de nouveaux véhicules que tranquillement emprunte l’onde électrique jaillit de là-bas sur le front français. Et ces chemins lui offrent les moyens magnifiques de remplir la mission pour laquelle elle a été créée. Elle gagne les stations d’élévation et de distribution d’eau et les détruit. Elle gagne les usines à gaz, et sa puissance destructive s’étale avec ampleur : appareils de fabrication, d’épuration du gaz, les gazomètres se dissocient sous son action ; le gaz, les foyers incandescents sont libérés ; leur rencontre produit des cataclysmes ; des flammes gigantesques s’élèvent à des hauteurs énormes, comme pour souligner aux populations effrayées l’ampleur du châtiment.

Le fléau dévastateur suit sa loi inflexible ; les grandes conduites qui l’ont amené aux lieux de production du gaz, ne lui font pas dédaigner les conduites secondaires en fer qui alimentent certains quartiers ; il vient leur prouver sa puissance en provoquant des incendies que la disparition des conduites d’eau ne permet pas de combattre.

Les voies fluviales ne restent pas indemnes ; par des ponts, des écluses sont touchées, se brisent ; des biefs se vident, leur contenu produisant des inondations.

Plus encore : les ravages ne s’exercent pas seulement à l’intérieur des terres ; les ports aussi y sont soumis. Les gares maritimes, les docks et entrepôts sont saisis et disparaissent dans la tourmente. Les chantiers navals ne sont pas à l’abri des coups de cet ennemi invisible qui ne fait grâce à aucun des atomes de fer qu’il rencontre sur son chemin ; les croiseurs en réparation, les sous-marins en construction disparaissent vite des cales gigantesques ou modestes où on les armait pour de nouveaux forfaits.

Les navires à quai, par les appareils de chargement de charbon, par les passerelles d’embarquement, reçoivent l’effluve qui ne pardonne pas en quelques heures ils sont au fond de l’eau ! Plusieurs grands bâtiments de guerre, devant ce mal inexplicable, décident de partir, mais beaucoup emportent le germe fatal qu’un contact fortuit leur a transmis. En mer, leur coque se dissout et ils sont brusquement abimés dans les flots !

Le choc initial provoqué en trois points du réseau ferré ennemi par l’intermédiaire des connexions établies à grand’peine, avait réussi à atteindre l’adversaire en tous ses endroits vitaux et sensibles, grâce À cette continuité prodigieuse des pièces métalliques qui couvrent tous les pays civilisés ou pré- tendus tels, d’un réseau fin mais enchevêtré qui enserre tout ce qui travaille et produit !

L’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Bulgarie, la Turquie étaient réduites à merci ; les destructions s’étendaient aussi, hélas, sur les territoires occupés par les féroces agresseurs, mais c’était la rançon du triomphe.

Quant aux neutres, à la grande satisfaction des trois protagonistes de cette émouvante affaire, ils n’avaient pas souffert. La « maladie moléculaire » avait pu être transmise du front ; les mesures de protection prévues, avaient pu être prises à temps les voies les reliant aux empires centraux avaient été coupées.

La tâche du lieutenant Jacques était accomplie ; d’avance il repoussait doucement toutes les propositions flatteuses dont il était l’objet ; il retournerait à son cher laboratoire ; il avait un grand problème à résoudre : à cette « maladie moléculaire du fer » que son génie avait créée, il fallait trouver le remède !

Ce serait son œuvre pendant la paix, cette paix glorieuse et juste que l’ennemi atterré demandait maintenant à genoux et qui, demain, serait signée !

« Mon lieutenant, mon lieutenant, c’est le colonel qui vient féliciter la batterie ! »

Et ce n’est qu’à la troisième annonce de cette nouvelle que lui criait son ordonnance, que le lieutenant Jacques, après douze heures de sommeil, se réveillait.

Raoul BIGOT.

Composition de R. Lelong.