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un train et se dirigea vers le buffet. Pendant près d’une heure von Schünburg mangea et but copieusement, isolé dans une petite pièce séparée.

En allumant un cigare, il pensa à l’officier qui ne revenait pas, mais son estomac bien garni le disposa momentanément à l’indulgence envers ce subalterne qui paraissait si long à exécuter ses ordres ; soudain un homme lui apporta un billet griffonné par son compagnon qui lui disait que les dires du chef de gare étaient malheureusement exacts il n’avait pu trouver de matériel en état de rouler ; sur l’indication que peut-être il en trouverait à l’usine de munitions, il se dirigeait vers celle-ci. Après avoir pris connaissance de ce message, le général remarqua que l’homme qui le lui avait apporté paraissait près de défaillir. « Mais qu’y a-t-il donc ? — Des choses épouvantables, — Allons donc ! » et se levant avec difficulté, von Schünburg décida d’aller faire un tour pour faire tout rentrer dans l’ordre.

À ce moment, un cri « Au feu ! » retentissait. À la porte du buffet, le général, stupide, s’arrêta : à peu de distance de lui, la locomotive déformée s’était complètement affaissée et le charbon encore incandescent communiquait le feu à l’amas de combustible du tender dont il ne restait que des vestiges.

Les wagons s’étaient écroulés, les planches et draps paraissaient seuls intacts ; le réservoir à gaz de l’un d’eux laissait fuir le gaz au travers de ses parois et un coup de vent ayant fait se rejoindre la nappe gazeuse et les étincelles du foyer, la flamme, en un instant, envahissait le train. Dans un moment, la gare entière serait en feu !

Le général suivit la foule qui fuyait, par la seule issue possible, vers la gare des marchandises. Là, il fut bien obligé de reconnaître que les bruits parvenus jusqu’à lui étaient exacts. À la place des rails, ne se voyaient maintenant que des trainées de poussière foncée ; des wagons, il ne restait guère que les planches et les cloisons, l’armature avait été comme volatilisée.

Il s’arrêta devant un train chargé de munitions et contempla de gros obus qui gisaient pêle-mêle. Du bout de sa canne. il frappa l’un d’eux et s’arrêta stupide.

« Voyons ! il rêvait, ce n’était pas possible ! » Et il renouvela l’expérience : sa canne était entrée dans l’obus ; sous le faible choc, le magnifique acier des usines allemandes s’était éparpillé, laissant voir à nu l’explosif redoutable.

Machinalement il recommença et chaque fois son bâton désagrégea un de ces obus dont il était si fier. Comme sous l’effet d’une hallucination, il frappa alors à coups redoublés, espérant enfin entendre le son métallique que rendaient d’ordinaire ces gros bijoux de mort que seule l’Allemagne avait su préparer d’avance ; mais il ne rencontrait que des corps mous, que des enveloppes friables qui s’émiettaient et laissaient voir à nu leu, hideuse âme jaune ! Alors, pris de vertige, il s’enfuit mais il n’alla pas bien loin !

À quelques centaines de mètres, un tourbillon immense de flammes jaillit ; il n’eut que le temps de penser « l’usine de munitions ! » et fut balayé et écrasé par le torrent de gaz, de matériaux et débris de toutes sortes que projetait dans toutes les directions l’explosion d’un amas considérable de munitions et de milliers de tonnes d’explosifs !

*

Le procédé du lieutenant Jacques triomphait.

C’était bien une idée géniale qu’il avait eue en provoquant, par un phénomène nouveau d’ordre électrique, ce qu’il appelait « la maladie moléculaire du fer ». Sous le choc de cette onde spéciale, le fer, l’acier, la fonte, prenaient un mouvement vibratoire, intime, car rien ne le décelait au début, qui provoquait une fragilité extrême du métal ; celui-ci, sous l’effet des efforts auxquels il était soumis, se rompait ; la désintégration continuant par le fait de l’annihilation de l’attraction moléculaire, le fer se réduisait en poussière. Et la chose inouïe, c’est que cette maladie était éminemment contagieuse ; la vibration se transmettait avec une vitesse si réduite qu’il était difficile de l’expliquer scientifiquement, mais elle se transmettait d’une pièce à une autre, même lorsqu’il n’y avait entre elles qu’un contact insignifiant.

Ce qui s’était passé à la station où le général von Schünburg avait eu une fin de dîner si tragique n’était qu’une bien petite scène du drame terrible qui secouait alors l’Allemagne, gagnait l’Autriche, la Bulgarie, la Turquie.

Le mal s’étendait, suivant le chemin facile et multiplié, sans solution de continuité, des voies ferrées, à la vitesse inexorable de 50 kilomètres à l’heure, allant semer l’épouvante dans tout le pays.

Les premiers effets étaient ceux déjà connus les rails se brisaient, se désagrégeaient, amenant des déraillements effroyables ; les locomotives, les parties métalliques des wagons suivaient bientôt, et par les foyers des machines, par le gaz des wagons, par des courts-circuits élec-