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Le Fer qui meurt

Pendant ce temps, Jacques travaillait. À la frontière suisse et en trois points du front occidental, il amenait des lignes de courant électrique empruntées aux plus grandes centrales voisines. Il faisait construire des appareils électriques bizarres, ne ressemblant en rien à ceux connus jusqu’à ce jour ; ces appareils étaient montés dans des abris blindés édifiés à l’extrémité des nouvelles lignes.

Des équipes de sapeurs procédaient à des manœuvres diverses sur le front.

Après quelques mois d’un travail intensif, Jacques, au cours d’une réunion avec ses deux hauts collaborateurs, leur déclara

« Je suis prêt. Il est certain que toutes les précautions sont prises sur les fronts franco-anglo-belge-américain, italien et grec ; sur notre front on a réussi en trois points, en profitant de cours d’eau, à établir les trois raccords nécessaires. Si l’ordre est lancé de fermer, dans les formes convenues, la frontière suisse tant du côté français que du côté italien, le cataclysme pourra être déclenché dans quarante-huit heures.

« Une demi-heure après ce déclenchement, les observateurs du front, les saucisses et les avions qui seront prévenus des phénomènes à saisir, nous renseigneront sur la réussite ou non de ce premier acte ; il faut en effet prévoir que les dispositifs établis à grand’peine sur le front ont pu être détériorés ; si le résultat est négatif, nous serons alors obligés de lancer la catastrophe à travers la Suisse ; dans ce cas vous savez les mesures prises pour limiter les dommages et celles devant permettre à nos voisins de remédier au bouleversement général qu’ils vont subir.

« Si au contraire, comme il faut l’espérer, le résultat est bon, nos émissaires agiront dans le sens convenu pour obliger la Suisse à prendre les mesures qui la sauvegarderont ; d’ailleurs des hommes de confiance sont répartis en des points choisis où, même indépendamment du Gouvernement fédéral, ils pourront procéder aux simples opérations qui mettront le pays à l’abri de toute contagion. C’est ce système qui sera employé en Hollande et au Danemark. La France aura fait le maximum d’efforts pour que ceux qui ne sont pas intervenus dans la lutte, n’aient pas à souffrir du rude coup que ses adversaires vont recevoir.

« Chez l’ennemi ce sera foudroyant ; il ne pourra exécuter la parade de sauvetage ; sa fameuse organisation si méthodique ne lui permet pas de comprendre rapidement les choses nouvelles et de prendre de suite les décisions qui s’imposent ; l’imprévu est pour lui un obstacle terrible qui l’arrête, qui l’oblige à un effort cérébral laborieux, qui nécessite des consultations pour faire rentrer l’anormal dans un cadre prévu ; il n’aura pas encore saisi l’ensemble de la situation que notre œuvre sera achevée.

« Les escadrilles d’avions de reconnaissance nous tiendront au courant des progrès du désastre… Alors, Monsieur le maréchal, ce sera à vous de terminer la tâche ! »

Jamais le lieutenant Jacques n’avait tenu un aussi long discours ; c’est que, malgré tout son calme, la grandeur et l’épouvante de ce qui allait se produire sur un geste de lui l’avaient quelque peu surexcité !

Pendant quelques instants le silence régna entre les trois hommes dont dépendait le destin du Monde.

Les méditations terminées, ils fixèrent d’un commun accord les détails ultimes de la mise à exécution du gigantesque projet. Au moment de se quitter, le souvenir qu’ils ne se reverraient « qu’après », c’est-à-dire au lendemain d’une victoire éclatante, fit qu’ils se rapprochèrent et, émus, s’embrassèrent fraternellement. Peu de jours après cette entrevue, le front allié était en rumeur ; il paraissait se passer quelque chose de grave chez les Boches ; on percevait des incendies dans les grosses agglomérations ; des dépôts de munitions sautaient ! Les aviateurs rapportaient qu’ils constataient un arrêt absolu des circulations sur voies ferrées.

Les communiqués, mettant les choses au point, signalaient qu’un grand nombre de destructions étaient visibles sur tout l’arrière de l’ennemi ; puis ces communiqués se multipliaient, mettaient le monde entier au courant d’un cataclysme extraordinaire qui envahissait les pays ennemis ; les ruines, les incendies s’étendaient, gagnaient Berlin, Vienne, jusqu’à Constantinople ! Un sentiment de surprise qui devient vite de la stupeur, puis se change en rage, en désespoir inouï, s’empare de l’Allemand et de ses alliés.

De l’autre côté du front, les premières nouvelles sont accueillies avec calme, on se méfie un peu de tout ce qui paraît surnaturellement favorable ; mais les événements se précipitent ; l’épidémie terrible qui ravage les empires centraux est enregistrée pas à pas ; une joie folle s’empare de tous ; les gens s’abordent dans les rues, s’embrassent, pleurent de joie… les tombes des « Morts pour la France et les Alliés » sont fleuries et l’on vient dire tout haut aux chers disparus « Vous êtes vengés ! ».

Puis la grande nouvelle attendue éclate comme un coup de tonnerre : tout le front