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Lectures pour Tous

Je veux croire que vous n’avez pas fait là œuvre de plaisanterie et que vous avez réfléchi que faire perdre du temps à celui qui concentre dans ses mains l’énergie et la volonté de la France, c’est presque un crime.

« Exposez-moi rapidement votre projet.

— Monsieur le Président, ce n’est pas encore le moment ; je vous l’exposerais que vous n’y croiriez pas ; il me faut d’abord vous prouver que l’idée fondamentale est résolue, et je dois commencer par une expérience. »

Il sortit de sa vareuse une petite boîte grande comme une lampe électrique de poche

« Avec ceci, continua-t-il, en empruntant pendant quelques secondes un courant électrique juste suffisant pour allumer une ampoule ordinaire, je détruirai le monde.

« Vous hochez la tête, Monsieur le Président, vous vous demandez si je ne suis pas fou ! Venez avec moi jusqu’à un endroit où je pourrai, sans dommage, exercer mon expérience, vous verrez, vous croirez et, après, vous entendrez et comprendrez mon projet. »

Le Président demanda une communication téléphonique :

« Colonel, n’avez-vous pas dans votre arsenal un vieux bâtiment qui vous gêne et que vous voudriez voir disparaître ?… Bien… alors j’irai vous voir demain. »

Au moment où il allait raccrocher le récepteur, le lieutenant Jacques fit un geste :

« Pardon, Monsieur le Président, quelques précautions préalables sont indispensables à prendre ; voulez-vous me permettre de les indiquer devant vous ? »

Sur un signe affirmatif, Jacques par téléphone donna quelques instructions. La communication terminée, le Président déclara :

« Alors Monsieur, nous partirons d’ici, demain à 10 h. 30. »

Le lendemain, à dix heures et demie précises, le Président du Conseil et le lieutenant montaient dans une automobile qui les conduisait à un arsenal situé dans la grande banlieue de Paris. Jacques s’assurait minutieusement que les instructions prescrites avaient été prises. Satisfait de son examen, il revint vers le Premier qui s’entretenait avec le colonel directeur.

« Monsieur le Président, je suis prêt.

« Mon colonel, vous connaissez les conditions ; revenez dans une heure, vous pourrez constater que ce bâtiment ne vous gênera plus ! »

Sur un signe d’assentiment du grand maître, le colonel s’en alla. Une heure après, quand le colonel revint, il ne restait du grand hangar qu’une couche de poussière. Le Président, dans l’attitude d’une profonde réflexion, fixait démesurément l’amas qui se trouvait à ses pieds ; le lieutenant Jacques prenait paisiblement des notes. L’arrivée du directeur de l’arsenal les rappela à la réalité.

Le Président montra au colonel ce qui restait du grand édifice, d’un air qui voulait dire : « Comment cela s’est-il fait ? Je ne sais pas ! » puis il s’adressa à Jacques

« C’est prodigieux ce que vous venez de faire, mais je n’en conçois pas l’application à la guerre. Je ne comprends pas !

— Maintenant, je pourrai vous expliquer, Monsieur le Président. »

Quelques jours après, le lieutenant était demandé à la Présidence.

« Monsieur Jacques, comme vous l’aviez pressenti, ma décision est prise ; nous allons tenter cette opération extraordinaire ; le triomphe de la civilisation et de l’humanité la justifie.

« Mais je ne dois pas être seul au courant.

« Pour porter tous ses fruits, votre action doit être intimement liée à celle de nos armées et ce n’est pas moi qui les commande.

— J’y ai pensé. Comme vous avez enfin réussi à convaincre tous les Alliés de nommer un généralissime unique, c’est ce dernier qu’il faut prévenir. Nous trois seuls au courant, sans en dire un mot à qui que ce soit, c’est le triomphe assuré. J’ai apporté un plan d’organisation de l’exécution tel, que tous ceux qui y seront mêlés ne pourront se douter de l’œuvre qu’ils préparent.

— C’est mon avis, aussi ai-je convoqué le commandant en chef. »

En disant ces mots le Président ouvrait la porte donnant dans un petit salon de son cabinet. Les portes bien closes, les trois personnages restèrent en conférence pendant une demi-journée.

L’offensive alliée à laquelle on s’attendait n’eut pas lieu, toutes les armées reçurent l’ordre de se tenir sur une stricte défensive, bornant leur action à maintenir l’ennemi en haleine par un harcèlement ininterrompu des premières lignes et des arrières. Mais des concentrations considérables de camions automobiles, de matériel divers étaient réalisées non loin des lignes, ainsi que de grands amas de munitions et d’approvisionnements de toutes sortes.

Le Président du Conseil eut, politiquement, un mal énorme à se défendre contre les reproches d’inaction ; il répétait sans cesse : « Nous attendons notre heure », et s’autorisait des décisions du généralissime qui, nommé par tous les Alliés, était à l’abri des mouvements d’humeur des parlementaires.