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Le Fer qui meurt

fait pour obéir, il ne pouvait être que le bras, il avait besoin que ses gouvernants pensent pour lui !

Utopie aussi que de rêver de faire sauter tout le pays ennemi comme un pauvre navire !

Et le lieutenant Jacques s’abîmait dans des réflexions profondes à la recherche du procédé qui, d’un seul coup, désarmerait complètement l’ennemi abhorré.

Peu à peu, il se produisait dans son esprit de subites et étranges lueurs, des rapprochements inattendus entre des expériences faites par lui sur la contexture et la fragilité des métaux et de curieux et anormaux phénomènes électriques qu’il s’était promis d’approfondir dans l’avenir.

Il força son cerveau à suivre parallèlement ces deux questions et une idée de génie se cristallisa lentement dans son esprit.

Pendant l’attaque effrayante qui fut repoussée en grande partie grâce à la conduite de sa batterie, il lui sembla que cette idée prenait définitivement corps.

Et, s’étendant sur son lit de paille, il se dit : « J’ai trouvé », puis il se crut la force de réfléchir. Mais la fatigue physique le dominait ; il murmura : « C’est cela, j’écrirai au Président du Conseil », puis, terrassé, il tomba dans un profond sommeil.

*

Le lieutenant Jacques, de la 3e batterie du 10e régiment d’artillerie.

À M. le Président du Conseil des ministres.

J’ai honneur de vous informer que j’ai découvert un moyen de guerre inédit, capable, en quelques heures, de provoquer sur l’ensemble des territoires ennemis une catastrophe sans précédents, devant amener à merci nos adversaires. Le procédé demande :

Un matériel nouveau assez important mais nullement extraordinaire ;

Un ensemble de mesures, faciles à prendre, à appliquer en même temps sur tous les fronts et sur les frontières neutres, mais dont l’exécution stricte est une condition vitale pour protéger les Alliés contre une catastrophe identique à celle qui doit être provoquée chez les empires centraux ;

Une discrétion absolue, car l’ennemi informé du projet pourrait, non seulement diminuer l’importance du résultat, mais le supprimer complètement par un moyen très simple ;

Une coordination étroite avec la stratégie générale qui devrait, certainement, modifier les plans actuellement décidés.

Pour toutes ces raisons, le recours à la voie habituelle serait absolument inopérant ; le nombre et la nature des questions soulevées exigeraient l’examen de ma proposition par un grand nombre de commissions et de bureaux qui seraient dans l’impossibilité absolue de se mettre d’accord avant que, par l’un de ces moyens détournés que nous ignorons mais que nous sentons, l’ennemi ne soit au courant de l’idée et n’y fasse la parade simpliste à laquelle j’ai déjà fait allusion.

J’ajoute que tous les préparatifs d’exécution ne pourront donner ni à nos agents, ni à l’ennemi s’il arrivait à les connaître, aucune indication sur le but poursuivi.

Un seul homme, en France, peut examiner l’ensemble de ces questions et en décider. Cet homme, c’est vous, Monsieur le Président du Conseil.

L’opinion a porté votre énergie au pouvoir ; je viens lui présenter l’occasion de s’en servir pour le plus grand bien du pays.

Lieutenant JACQUES.

Le cabinet militaire de la Présidence du Conseil, auquel fut envoyée cette lettre, n’y attacha que peu d’importance ; néanmoins des renseignements furent demandés sur cet officier si peu respectueux de la voie hiérarchique,

Ils arrivèrent tels que le scepticisme de l’entourage du Premier fut ébranlé et que, pour éviter toute gaffe, la lettre fut présentée au Président du Conseil : celui-ci ordonna qu’un officier supérieur se rendrait immédiatement près du lieutenant Jacques et lui demanderait le principe de son projet et quelques détails pour pouvoir juger si la proposition méritait une étude.

Cet officier revint vite.

Le lieutenant avait répondu simplement que, sur son honneur, il garantissait la véracité de ce qu’il avait avancé, mais que, pour les raisons indiquées dans sa lettre, il n’exposerait son projet qu’au Président du Conseil en personne. De sa courte mission, de l’impression que lui avait causée Jacques, des conversations qu’il avait eues avec ses chefs militaires, avec le directeur de la Société qui l’employait avant la guerre, l’officier rapportait la conviction que la proposition ne pouvait être écartée de plano. Le Premier téléphona au G. Q. G. de prescrire au lieutenant Jacques de venir le voir.

La première entrevue du grand politicien à la vue nette et claire, à l’inébranlable volonté et du jeune savant calme et résolu, fut une rapide passe d’armes :

« Monsieur, vous m’avez envoyé cette lettre : vous avez refusé des explications à l’officier supérieur que je vous ai dépêché.