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LE FER QUI MEURT

NOUVELLE
PAR R. BIGOT

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Devant le soudain effondrement de la puissance allemande, qui n’a eu l’impression d’un résultat foudroyant dû à quelque cause inconnue de nous ? C’est cette impression qu’a su rendre d’une façon singulièrement saisissante l’auteur de cette curieuse nouvelle — à la fois merveilleuse et scientifique — qui reçoit de la catastrophe allemande une étrange valeur de symbole.

Depuis quarante-huit heures, le lieutenant Jacques ne s’était pas reposé un instant. Dès le début de l’attaque menée violemment par l’ennemi, sa batterie, installée non loin des premières lignes, avait été prise particulièrement à partie par l’artillerie adverse ; il était resté seul survivant des officiers, avec un effectif réduit de près de moitié. Les ordres étaient impératifs ; il fallait, coûte que coûte, continuer les barrages sous la grêle des 210 et des 150. Avec son air habituel détaché d’ici-bas, le lieutenant allait d’une pièce À une autre, inspectant ses hommes, donnant un conseil lorsqu’un incident menaçait d’arriver le tir ; rien ne paraissait l’émouvoir, et son calme imperturbable trempait mieux le courage de ses soldats que des discours plus ou moins nerveux. De temps en temps il passait à son trou prendre connaissance des nouvelles que, grâce à un appareil récepteur de fortune de T. S. F. qu’il avait installé, il pouvait recevoir.

Les bonnes nouvelles étaient transmises par lui directement à ses hommes et il portait personnellement à chaque pièce les nouveaux éléments du tir lorsque les ordres lui enjoignaient de changer d’objectif.

Mais sa résistance physique était ce soir-là à bout ; il s’en aperçut à la lecture d’une communication lui disant

« Attaque ennemie définitivement échouée. Sur premier objectif une rafale tous les quarts d’heure. Mesures sont prises pour vous ravitailler vers 23 heures et évacuer vos blessés. Votre tir a été très efficace. »

Il fit alors une dernière tournée répandant ces lignes consolantes, donna quelques ordre, et s’en fut vers sa paillasse, se sentant harassé.

Le lieutenant Jacques n’était pas né pour faire un militaire. De santé plutôt délicate, répugnant à tous les exercices violents, il ne se sentait vivre que dans le laboratoire de recherches où il était entré aussitôt la fin de son instruction scientifique. Il s’estimait heureux d’avoir pu pénétrer d’emblée dans l’une des trop rares grandes industries françaises ayant compris l’importance technique, économique et morale de ces laboratoires de recherches, si développés dans certains pays industriellement plus jeunes que la France.

Il avait trouvé sa voie et, rapidement, avait rendu des services appréciés. Lors de la déclaration de guerre, officier de complément, il rejoignit son régiment. Patriote et scrupuleux, il fit son devoir sans ostentation ; celui-ci ne lui demandant qu’un travail cérébral qui n’était qu’un jeu pour lui, il sut assumer ses fonctions, tout en laissant son esprit travailler dans des sphères bien plus hautes.

Naturellement ses préoccupations scientifiques s’étaient orientées vers les moyens de guerre et il avait, maintes fois, étonné ses camarades en leur décrivant, un an et plus avant qu’ils ne fassent leur apparition, de nouveaux engins qui lui semblaient devoir s’imposer. Il répétait volontiers que les moyens de faire la guerre étaient, en somme, bien réduits. Les adversaires en présence n’utilisaient que des engins d’action locale peu étendue qui, pour produire de l’effet, devaient être employés en nombre considérable.

Pour abattre rapidement l’Allemand, il fallait pouvoir l’atteindre, sur ses milliers de kilomètres de front, sur les arrières de ses innombrables armées, sur son territoire même, par une catastrophe générale comparable à ce qu’était une épidémie de peste ou de choléra à ce qu’était le virus bocho-maximaliste pour l’ancienne Grande-Russie, à ce qu’était la torpille pour le paquebot sans défense. Mais ces points de comparaison ne fournissaient aucune donnée pour résoudre le problème. La création d’une épidémie général en Allemagne était impossible ; elle répugnait d’ailleurs au caractère français, d’autant plus que l’Allemand avait déjà essayé de l’employer.

Quant à la décomposition intérieure provenant de la politique, il n’y fallait pas songer toute l’histoire de l’Allemagne était là pour prouver que le peuple allemand était