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soumise ne sont pas satisfaits, il en résulte que lorsqu’elle n’est pas elle-même réglée et dirigée par la vie intellectuelle, elle matérialise celle-ci, et fait de l’homme un animal servi par une intelligence. Alors l’homme abdique ses droits à toute existence supérieure à celle d’ici-bas, et trouve dans cette dernière son tout et sa fin ; ses plus nobles facultés, ses plus brillans instincts devenant inutiles à son bonheur terrestre, il laisse les capacités inférieures de son intelligence se développer au profit de ses passions et de ses plaisirs. On voit régner dans la société la finesse, l’habileté, la ruse, le talent du gain, les raffinemens, la sensualité, le savoir-vivre et le savoir-faire ; en un mot, le matérialisme le plus funeste, celui qui ne se donne pas la peine de nier l’existence de l’âme, mais qui se contente de l’oublier.

Car on ne doit pas s’y tromper, l’activité intellectuelle qui se montre à la surface de la société ne saurait être considérée comme le contrepoids salutaire de la tendance matérialiste. Si l’on examine de plus près ce mouvement des esprits, cette inouïe fécondité des imaginations, cette foule d’idées de toute espèce jetées chaque jour dans la circulation, ces productions littéraires dont la multiplicité semble trahir un vaste développement intellectuel, on reconnaîtra que ce sont là autant de conséquences d’une agitation fébrile qui prend sa source dans un déploiement extraordinaire des passions politiques et des passions sensuelles. L’intelligence s’épuise dans la lutte où l’entraînent les unes, et se corrompt dans les voies où l’engagent les autres ; les premières la pervertissent en lui enlevant le sentiment du bon, du juste et de l’honnête, en bornant ses regards et ses désirs à des intérêts d’un jour, en remplaçant sa droiture par la passion, sa raison par le sophisme ; les secondes la souillent en affranchissant