Page:Bibliothèque universelle de Genève-T6, 1836.djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans le cri d’une âme mécontente, inquiète et troublée, s’il semble peser comme un fardeau sur une conscience tout à coup réveillée, c’est le plus souvent lui-même qui se joue de ses propres angoisses, qui laisse l’imagination décrire des tourmens que le cœur ne ressent pas, qui trouve piquant ou nouveau de feindre des émotions qu’il conçoit sans les éprouver. Sous une forme ou sous une autre le doute a rongé les esprits, et ne laisse plus de place pour les convictions, si du moins on donne à ce mot son vrai sens, si l’on entend par là ces liens énergiques, puissans, intimes, qui unissent les hommes entre eux, qui les rattachent à une croyance, à une œuvre, à une espérance commune. Où sont ces points lumineux, ces attractions vigoureuses, ces actifs mobiles de la volonté, où sont-ils dans la littérature, dans la religion, dans la politique, dans toute la vie morale ?

Ce doute plein de calme, qui ne décèle plus qu’une profonde ignorance de soi-même, se trouve favorisé par l’importance excessive qu’ont prise depuis quelques années les intérêts matériels. La production des richesses, la soif du lucre poussée jusqu’à l’extravagance, l’amour excessif du bien-être, la multiplication des entreprises industrielles et commerciales, en un mot la vie matérielle élevée à sa plus haute puissance, voilà une des tendances les plus manifestes de la société française, de son sommet jusqu’à sa base. Nous ne saurions blâmer en eux-mêmes le développement de l’élément corporel chez l’homme et les efforts de ce dernier pour s’approprier les forces de la nature, mais leur prépondérance presque exclusive est un fâcheux résultat ; il faut à l’individu, comme à la société, une vie morale qui est nécessairement compromise lorsqu’elle ne domine pas la vie physique. Celle-ci étant en effet, par sa nature, aveugle et insatiable tant que les désirs auxquels elle est