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c’est manquer de courage. Or, ni l’un ni l’autre de ces défauts ne peuvent se rencontrer là où subsiste une saine conception de la philosophie, de sa nature et de son mandat.

En effet, lorsqu’on recherche de quels élémens doit se composer une science qui a l’homme pour objet, on découvre que l’une de ses parties aura pour base et pour but l’homme à son état normal, l’homme tel qu’on peut le concevoir par l’abstraction des variétés individuelles, l’homme envisagé comme idée générale ; cette partie, où l’étude de l’âme, et de ses capacités, l’examen de l’être moral, de sa destination, de ses besoins, fournissent les matériaux nécessaires, composera l’édifice des conceptions abstraites et systématiques. Cette construction scientifique est un élément indispensable de toute philosophie, mais il ne peut en être le seul. À l’abstraction doit succéder la réalisation, à la conception l’action, à la généralisation l’application. Du domaine de l’idée il faut passer à celui de la réalité ; car puisque la philosophie a pour premier et dernier terme, pour source et pour objet, l’homme pris dans tout l’ensemble de son être, il est évident que pour être complète elle doit suivre l’homme là où celui-ci se montre actif, intelligent, moral, c’est-à-dire, dans le monde réel, et qu’elle demeure imparfaite ou impuissante si, de l’espèce envisagée en général, elle ne s’étend pas aux individus, si elle ne se justifie pas elle-même par l’application de ses principes, si elle ne cherche pas à éprouver, au milieu des variations sociales, la vérité et la sagesse de ses conceptions. La philosophie doit accepter toutes les conditions de notre organisation présente, et comprendre qu’elle ne peut être elle-même vivante qu’en se mettant en contact avec la vie telle qu’elle nous est faite.