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l’être moral se trouve assailli de toutes parts et bon gré, mal gré, compromis dans le combat. Aux jours de lutte la science philosophique ne doit sans doute pas prétendre à devenir l’intérêt dominant des intelligences ; nous ne pensons pas même à la faire descendre, dans les temps les plus calmes, au milieu de la vie publique ; dès l’origine nous avons distingué le domaine où doivent se renfermer les penseurs, de la sphère plus étendue sur laquelle peut s’exercer l’influence pratique de la philosophie, et c’est de ce dernier point de vue que nous nous sommes occupés jusqu’ici. Ce qu’il s’agit donc d’examiner, c’est s’il existe des cas dans lesquels on doive renoncer à employer cette action extérieure de la philosophie, et si les circonstances déjà signalées ont dû en particulier y mettre un terme.

Ce serait, il faut l’avouer, une pauvre et débile science que cette science de l’homme qui demeurerait inhabile et impuissante lorsque l’homme déploie, avec trop d’énergie ou de précipitation, ses facultés et ses passions ; elle serait bien vaine et bien misérable si elle se trouvait sans ressources au moment même où l’esprit humain aurait besoin d’elle pour prévenir ses égaremens et ses excès. Stérile assemblage de conceptions abstraites, elle ne verrait dans l’intelligence et le cœur que deux cadavres livrés à son scalpel ; habituée à ne régner que sur des fantômes, elle se regarderait d’avance, en se mettant aux prises avec la vie, comme vaincue et désarmée.

Mais tel n’est pas le tort de la philosophie ; et lorsqu’on la voit reculer devant le développement contemporain, ce n’est pas elle qu’il faut accuser mais ceux qui paraissaient lui avoir voué leur cœur. Croire la philosophie sans ressources aux jours mauvais, c’est manquer d’intelligence ; croire à son influence sans chercher à la mettre en œuvre