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du moyen âge est souvent un problème délicat et difficile à résoudre. Aussi, en cette matière, on ne saurait jamais être trop prudent et trop s’entourer de tous les moyens de contrôle et d’information dont on peut disposer.

Pour ne pas avoir observé ces prescriptions et s’être laissé éblouir par une apparente similitude de mots, les auteurs du recueil des Ordonnances des rois de France ont commis une grave erreur dans l’identification d’un nom de lieu donné par une charte de Philippe VI de Valois. Cette charte (Ordonn., t. III, p. 605), qui accordait à l’abbaye de Saint-Gilles en Provence et à toutes ses dépendances la faveur de ressortir immédiatement au sénéchal de Beaucaire, est ainsi datée : « Datum in Praderia Sancti Andree prope Ayram. » Au bas de la page, on a mis cette note : « C’est apparemment Pradère, dans le bas Armagnac, diocèse d’Aire (voy. le Dictionnaire universel de la France). » On voit de suite que, pour donner une semblable identification, on s’est laissé surprendre par la ressemblance qui parait exister à première vue entre Praderia et Pradère. En effet, ce Pradère que l’on indique, et qui est très vraisemblablement la localité appelée aujourd’hui Pradère-les-Bourguets (Haute-Garonne, arr. de Toulouse, cant. de Lèguevin), n’était d’abord pas, d’après Expilly, du diocèse d’Aire, mais du diocèse de Toulouse. De plus, au point de vue philologique, le mot Praderia n’eût pas donné Pradère dans le Midi, mais Praderie, nom de localité que nous trouvons dans le Lot-et-Garonne (comm. de Montignac-de-Lauzun) et dans le Puy-de-Dôme (comm. de Brousse). Enfin, que devient Sancti Andree ? S’il est dans le texte latin, il eût été bon de chercher à se rendre compte du motif qui l’y avait introduit. Il a sa signification, et, comme le Pradère indiqué ne se nomme pas Pradère-Saint-André, il fallait voir si d’autres localités répondaient mieux à cette désignation. Enfin, on objectera encore que la ville d’Aire (Landes) n’était pas appelée en latin Aira, mais Adura ou Atura. On pourra me répondre, je le sais, qu’au XIVe siècle les noms latins sont souvent calqués sur les mots français et ainsi défigurés. Cela n’est cependant pas une règle générale et on ne doit se retrancher derrière l’incorrection des textes que lorsqu’elle est manifeste, évidente ; sans cela, il serait trop facile de leur faire dire non ce qu’ils disent réellement, mais ce que chacun peut y voir.

Si ces questions d’étymologie, qui sans doute n’étaient pas très familières aux éditeurs de ces textes, n’attirèrent pas leur attention, il est pourtant un point qui eût dû l’attirer infailliblement s’ils avaient un peu réfléchi : c’est la forme Datum in Praderia ; car, dans tous les textes qu’ils transcrivirent, ils ne trouvèrent pas Datum in pour Donné à, mais Datum apud ou Datum, suivi du nom de lieu soit au génitif, soit présenté sous une forme indéclinable, comme Datum Parisius, datum apud Sanctum Germanum in Laya, datum Nemausi, datum apud Villam novam,