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disposé de telle façon que, lorsqu’on le jette dans l’eau, il surnage et désigne par sa tête et sa queue les deux points du midi et du nord[1]. » Le nom de calamite, que porte en Sicile l’aiguille aimantée, évoque l’idée non plus du poisson, mais de la grenouille[2]. En réalité, l’instrument, comme l’animal[3], tire son nom du lit de roseaux où il repose[4]. Nous avons vu que l’aiguille était soutenue sur l’eau par un roseau ou un fétu.

L’attraction mystérieuse de l’aiguille vers l’étoile « reluisante » du nord surexcitait l’imagination des Levantins. Dieu sait quelles expériences naïves leur suggéra cette affinité incompréhensible, et quel écho elles trouvèrent, tant la science était déroutée, chez des docteurs comme Albert Le Grand ou chez des écrivains comme Philippe de Mézières. Les matelots du Levant voulurent faire partager à leur aiguille de mer l’attrait qu’ils éprouvaient pour l’ail ; à peine eut-elle touché au mets que la petite machine devint, paraît-il, insensible à l’aimant, et Philippe de Mézières de se récrier sur l’emploi de cet ail « chault et puant, esmouvant à luxure, » dont la souillure empêche l’aiguille de regarder l’étoile belle, claire et nette[5].

À tourner et retourner l’aiguille, on finit par lui donner une position stable, sur un pivot[6], dans une boîte. La boussole était inventée. L’honneur en revenait, jusqu’ici, à un Flavio Gioja d’Amalfi, qui aurait fait œuvre d’Archimède en 1302. Mais voyons sur quel piédestal repose notre héros. C’est, hélas ! un assemblage de conjectures, de légendes et de quiproquos.

Et, d’abord, les conjectures sont en faveur non pas d’Amalfi, mais d’un port voisin, Positano. Positano, dont les galères servaient en temps de guerre sous la bannière d’Amalfi, voulut avoir son propre drapeau en ajoutant aux armes de la métropole un

  1. Baïlak, le Trésor des marchands, ouvrage arabe composé en l’an 640 de l’Hégire, 1242 de J.-C. (Cf. Aboulféda, trad. Reinaud, I, cciii.)
  2. P. Fournier, Hydrographie, liv. XI, chap. i.
  3. « Ea rana quam Græci calamitem vocant, quoniam inter arundines fruticesque vivat. » (Pline, Hist. natur., lib. XXXII, cap. xlii.)
  4. Klaproth, Lettre à M. le baron A. de Humboldt sur l’invention de la boussole. Paris, 1834, in-8o, p. 16.
  5. Philippe de Mézières, le Songe du vieil pèlerin, chap. xlv : l’exposition morale et spirituelle de la nave. (Ms. fr. 9200, fol. 289 et suiv.)
  6. D’Avezac prétend que les marins de la Méditerranée, dès le xiie siècle peut-être, faisaient reposer l’aiguille sur un pivot. (Bulletin de la Société de géographie de Paris, 1860, I, 346.)