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le Bel, en dépit de sa très haute intelligence, n’ait pu comprendre la terrible crise sociale dans laquelle la Flandre se débattait au commencement du XIVe siècle, ou n’ait pas su, du moins, y apporter le remède convenable. Et, comme lui, je crois que ce fut un malheur pour la Flandre, qui ne se serait sans doute pas effondrée si elle était restée française.

Mais où je ne suis plus entièrement d’accord avec M. F.-B., c’est quand je le vois soutenir que la guerre de Flandre fut uniquement une guerre sociale, la lutte de la plèbe contre le patriciat ou, si l’on préfère, des métiers contre les échevinages. Cette affirmation revient dans l’ouvrage presque à chaque page ; c’est l’idée maîtresse de la thèse. Je suis loin de nier l’influence que le fâcheux état social du comté de Flandre, à la fin du XIIIe siècle et au commencement du XIVe, a pu avoir sur l’interminable lutte des Flamands contre le roi de France. Mais, contrairement à l’opinion de notre confrère, je crois que cette lutte n’a pas laissé d’être une guerre de race. À la page 28 de son livre, notre confrère écrit : « Il n’y avait aucun antagonisme national entre Flamands et Français, bien au contraire. » Cet antagonisme, M. F.-B. ne le nie, je le crains, que parce qu’il ne l’a pas vu dans les innombrables documents qu’il a compulsés. Il me paraît qu’il le nie à la manière de ces médecins qui contestent l’existence de l’âme humaine parce qu’ils ne la voient pas à la table de dissection. Pour moi, notre confrère a beau établir que les intérêts rapprochaient infiniment plus les Flamands des Français que les autres peuples ; il a beau insinuer que les Flamands avaient toutes sortes de bonnes raisons d’être pour la France plutôt que contre elle, je ne puis renoncer à croire que la vieille haine instinctive du germain contre le latin n’a pas joué sa partie dans la guerre acharnée des Flamands contre Philippe le Bel. À toute époque, aux Pays-Bas, on le constate cet antagonisme invétéré des deux nationalités, insaisissable parfois, mais toujours vivace. Croit-on qu’en cette fin du XIXe siècle… J’allais oublier que notre Bibliothèque est une « Revue d’érudition consacrée spécialement à l’étude du moyen âge. »

Au demeurant, l’antagonisme national entre Français et Flamands au XIIIe siècle, nié par M. F.-B., et les causes sociales affirmées par lui des guerres de Flandre sous Philippe le Bel, ne sont pas pour s’exclure. Comme notre confrère l’a fort bien remarqué, les Flamands des classes élevées de la société étudiaient à l’Université de Paris ; ils entraient fréquemment par alliance dans les familles françaises ; ils parlaient notre langue et vivaient suivant les usages de France ; aussi, chez les patriciens de Flandre, les sympathies étaient-elles presque unanimement françaises. Il en était autrement chez le peuple, qui ne parlait que son dialecte bas-allemand, pour qui la civilisation française était lettre morte et dont les rapports avec la France étaient rares. Or, le peuple flamand détestait les nobles et les bourgeois de son pays. Quand