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documents aujourd’hui disparus. Or, pour lui comme pour Cuvelier et pour le Religieux de Saint-Denis, du Guesclin n’était pas encore chevalier au moment du siège de Rennes ; après avoir parlé des efforts du duc de Lancastre pour entrer dans la ville, il ajoute qu’il n’y put réussir, « car dedans estoient le vicomte de Rohan, le sire de Laval, messire Charles de Dinan et plusieurs aultres seigneurs et soudoyers, entre lesquels estoit Bertran du Guesquin, jeune escuyer, lequel se combatit devant la cité à un nommé messire Nicolas Dagorne[1]. »

Bien plus, il n’y a pas jusqu’à d’Argentré lui-même qui, par une contradiction étrange, après avoir dit que du Guesclin fut fait chevalier à Montmuran, ne reproduise le récit de Cuvelier au sujet du siège de Rennes et des tentatives du duc de Lancastre pour gagner Bertrand à la cause de Montfort : « Le duc se prist à rire et luy dist : « Ecoute, Bertrand, si tu veux prendre ce party, je te feray chevalier[2]. » D’ailleurs, s’il fallait absolument fournir une explication de la légende à laquelle d’Argentré a prêté l’autorité de son nom, on la trouverait peut-être dans ce fait que, du Guesclin ayant plus tard épousé Jeanne de Laval, héritière de Montmuran, la famille de Laval aurait trouvé flatteur de rattacher à ce château l’entrée de Bertrand dans la chevalerie. D’Argentré se serait trouvé en présence de cette tradition intéressée en possession d’une ancienneté déjà respectable et, de bonne foi ou non, l’aurait reproduite d’autant plus facilement qu’elle pouvait se greffer à un événement très vraisemblable, l’attaque de Hugh de Caverly contre Montmuran dont parle la Chronique normande.

Si l’on en croit les raisons que nous venons d’exposer, on est donc amené à reculer jusqu’au mois de juillet 1357, c’est-à-dire à la fin du siège de Rennes, la date à laquelle du Guesclin fut fait chevalier, et à rapporter à Charles de Blois lui-même l’honneur d’avoir ceint l’épée au futur connétable de Charles V. Il ne faut pas trop s’étonner de cette promotion tardive : « De pure forme ou à peu près pour les princes du sang et les grands feudataires, le titre de chevalier était au contraire fort difficile à obtenir pour

  1. Le Baud, Histoire de Bretagne, édit. de 1638, p. 314.
  2. D’Argentré, Histoire de Bretagne, p. 331. — D’Argentré ajoute, il est vrai, entre parenthèse : « Et lors n’estoit-il encores que bachelier ; » mais, tout bachelier étant nécessairement chevalier, on voit que la contradiction n’en subsiste pas moins.