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n’ait été mentionné par aucun historien antérieur, ni par Cuvelier, le narrateur consciencieux et abondant des gestes du connétable, ni par Pierre Le Baud, dans ses vastes recherches sur les antiquités bretonnes. D’ailleurs, si d’Argentré, ayant puisé à des sources aujourd’hui perdues, nous rapporte parfois des événements exacts quant au fond et qu’on ne retrouve pas ailleurs, il faut aussi reconnaître qu’il manque souvent de critique dans le choix des traditions qu’il reproduit et garde la plus grande liberté quant à la date et aux circonstances de ces événements[1]. L’épisode du combat de Montmuran est, il est vrai, raconté par un auteur contemporain[2], mais, chose étrange, la Chronique normande, qui connaît déjà à cette époque du Guesclin, qui parle de la part qu’il prit peu de temps auparavant aux joutes de Pontorson, ne mentionne pas sa présence à Montmuran. Il semble donc que, loin de considérer ce témoignage comme une preuve en faveur de la chevalerie de Bertrand, il faille y voir un argument négatif d’une réelle importance[3].

Un fait plus grave encore restait à expliquer : le silence de Cuvelier. M. Luce a supposé que ce dernier, qui écrivait pendant les premières années du règne de Charles VI, avait voulu, en taisant cet incident, éviter la colère des oncles du roi. Montmuran appartenait en effet à la famille de Laval, et celle-ci avait, dans les dernières guerres de Bretagne, pris parti en faveur du duc Jean IV contre Charles V. Il semble possible de donner de ce silence une autre explication. Si Cuvelier ne raconte pas que du Guesclin a été fait chevalier à Montmuran, c’est que pour lui du Guesclin n’a été fait chevalier que beaucoup plus tard et dans de tout autres circonstances sur lesquelles il s’explique à deux reprises différentes avec la plus grande netteté. La première fois

  1. Nous n’en pouvons donner de meilleur exemple que les détails fantaisistes dont il accompagne le récit de l’expédition de du Guesclin à Jersey en 1373. Voir Revue historique, 1895.
  2. Chronique normande, p. 107.
  3. Un témoignage du xive siècle, il est vrai, semblerait indiquer, sinon que du Guesclin fut fait chevalier à Montmuran, du moins qu’il était chevalier au moment du siège de Rennes. Froissart, en effet, le qualifie à cette époque de « jones bacelers » (édit. Luce, t. V, p. 86), mais Froissart, qui d’ailleurs ne vise pas à la précision des termes, veut surtout indiquer par là que Bertrand était alors un tout petit personnage, et son témoignage est si peu probant que M. Luce a cru devoir le réfuter ou au moins l’expliquer, pour le faire concorder avec celui de d’Argentré (Histoire de Bertrand du Guesclin, p. 188).