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On ne voit malheureusement pas le droit que l’auteur peut invoquer à prendre la parole en un pareil débat, ni l’appoint utile que ce travail doit ajouter aux indiscutables mais trop courtes notions que l’histoire possède sur le personnage énigmatique de Pierronne de Bretagne.

Cette étude, qui se présente, non pas comme œuvre d’imagination, dont l’appréciation intrinsèque cesserait de relever du domaine de l’érudition, mais bien comme démonstration historique appuyée de références et de preuves, offre en effet le tort fondamental de citer et de présenter, comme événements vérifiés, des images et des fictions tirées de l’œuvre délicate à laquelle il vient d’être fait allusion, et dont le poète même qui les créa prenait soin de laisser voir l’origine et la portée. C’est ainsi qu’entre autres, tout le récit de la vie de Pierronne, jusqu’à la constatation de sa présence à Jargeau, le jour de Noël de l’an 1429 (chap. II, p. 31-40), récit qui pourrait faire croire à quelques documents nouveaux récemment acquis à la critique, ne repose à proprement parler sur rien. Il en est absolument de même de tout ce qui est dit au sujet de la statue de la forêt de Coat-an-Nos en Bretagne[1], soi-disant consacrée au souvenir de Pierronne (chap. VIII, p. 151-154). Une gracieuse et manifeste rêverie littéraire ne peut autoriser un historien à affirmer, surtout en termes d’une précision vraiment abusive, l’existence d’un monument d’une aussi imaginaire et déroutante iconographie[2].

Également invraisemblable est l’interprétation, toute personnelle d’ailleurs, décernée à deux témoignages archéologiques sur la signification desquels s’étend un commentaire par trop hasardé. — On connaît le portail du transept méridional de Notre-Dame de Paris, qui regarde la Seine, édifié en 1257 par l’architecte Jean de Chelles (pourquoi l’appeler Jean de Sceaux, p. 133, n. 2 ?), ainsi que l’établit l’inscription célèbre gravée sur le soubassement. Or, dans les sculptures des quatre médaillons du côté gauche, dont l’identification exacte, il faut le reconnaître, peut prêter à diverses conjectures, l’auteur veut nettement distinguer quatre scènes se rapportant au supplice historique et à la réhabilitation gratuitement supposée de Pierronne (chap. VI, p. 129-142). Le portail où sont tracées ces sculptures, sans aucune hypothèse possible de raccord ou d’incrustation postérieure, datant de 1257, on peut estimer que toute discussion, même élémentaire, sur ce point, cesserait de demeurer sérieuse[3]. — Il en est de même pour la

  1. Coat-an-Nos, Côtes-du-Nord, comm. et cant. de Belle-Isle-en-Terre, arr. de Guingamp.
  2. Cette fiction a été, depuis, encore sérieusement soutenue par M. Lionel Bonnemère (Perinaïk, dans l’Ouest artistique et littéraire du 15 juin 1893).
  3. Cette méprise avait été, en même temps, spontanément adoptée par Mlle Pauline de Grandpré (Perrinaïc, dans l’Univers du 26 avril 1893), et a été encore défendue par M. Lionel Bonnemère (loc. cit.).