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La seconde théorie manifeste plus d’exigences : elle veut qu’on puisse qualifier Jeanne d’Arc de Lorraine, au sens politique du mot. M. Chapellier, bibliothécaire de la ville d’Épinal, s’en est fait le plus actif et le plus énergique partisan[1]. Les raisons qu’il allègue se ramènent pourtant, et seulement, à celle-ci, à savoir que, pendant une partie du cours de la vie de la Pucelle, le duché de Bar, comprenant le Barrois Mouvant, et le duché de Lorraine furent unis tous deux sous le même souverain, René d’Anjou, — le roi René[2], — mis en possession du duché de Bar en 1420 par son grand-oncle, le dernier duc, dont il était institué héritier dès 1419, marié en 1420 à Isabelle, héritière du duché de Lorraine, puis duc de Lorraine lui-même à partir du 25 janvier 1431. Mais il ne faut pas oublier d’observer que, pour que cette opinion puisse être seulement soutenue, il serait nécessaire de prouver que le lieu natal de Jeanne d’Arc se trouvait lui-même en Barrois Mouvant, condition préalable dont on va peut-être démontrer toutes les difficultés. Il faut remarquer en outre que, cette preuve serait-elle faite, l’union personnelle des duchés de Bar et de Lorraine, depuis l’avènement de René d’Anjou, laissait, comme par le passé, le Barrois Ducal à l’état de fief lorrain et n’empêchait nullement le Barrois Mouvant de demeurer fief de la couronne de France. En tout cas, et de toutes façons, Jeanne d’Arc ne peut donc être née ni avoir jamais vécu sujette de la cour de Nancy. C’est une affirmation à laquelle il faut désormais renoncer. Comme originaire, non de Lorraine, mais des Marches de Lorraine, la vierge de Domremy n’a droit qu’à la vague et traditionnelle désignation consacrée par les vers immortels de Villon, sans lesquels, sans doute, on ne songerait pas à relever cette touchante mais inacceptable théorie.

Si Jeanne d’Arc n’est pas Lorraine, au sens propre et exact du mot, continuent cependant les représentants de l’école d’érudition dont les opinions viennent d’être citées, elle n’est pas davantage Française. Elle est tout au moins née Barroise, le lieu de sa naissance faisant partie du territoire compris dans les limites du Barrois Mouvant. En tout cas elle n’est pas née sur terre de France.

C’est ici que la question se précise et exige un scrupuleux examen.

Les recherches de Vallet de Viriville[3], les résultats condensés par

  1. Cette opinion est soutenue dans l’étude de M. Chapellier qui a pour titre : Sous René d’Anjou, Domremy, Greux et Bazoilles étaient du Barrois Mouvant, parue dans le Journal de la Société d’archéologie lorraine, 38e année, février 1889, p. 35-42, et réunie à une autre étude, sous ce titre : Deux actes inédits du XVe siècle sur Domremy, Nancy, 1889, in-8o, 10 p. (Voir ci-dessous, p. 162, n. 3.)
  2. Sur ces faits, Siméon Luce, Jeanne d’Arc à Domremy, Intr., p. LXV-LXX.
  3. Vallet de Viriville, Nouvelles recherches sur la famille et sur le nom de Jeanne Darc. Paris, Dumoulin, 1854, in-8o, 50 p., et dans Investigateur de mai, juin, juillet 1854, 3e série, t. IV, année 1854, p. 133-192.